Mon ami, vous désespérez de vous ; avec l’idée du bien et le désir d’y atteindre, vous vous croyez sans retour emporté dans un cercle d’entraînements inférieurs et d’habitudes mauvaises. Vous vous dites que le pli en est pris, que votre passé pèse sur vous et vous fait choir, et, invoquant une expérience malheureuse, il vous semble que vos résolutions les plus fermes doivent céder toujours au moindre choc comme ces portes banales dont les gonds polis et trop usés ne savent que tourner indifféremment et n’ont pas même assez de résistance pour gémir. Pourtant, vous me l’avez assez de fois confié, votre mal est simple, votre plaie unique. Ce n’est ni de la fausse science, ni de l’orgueilleux amour de la domination, ni du besoin factice d’éblouir et de paraître, que vous êtes travaillé. Vos goûts sont humbles ; votre cœur modeste, après le premier enivrement des doctrines diverses, vous a averti que la vérité n’était pas là, bien qu’il y en eût partout des fragments épars. Vous savez que les disputes fourvoient, que l’étude la plus saine, pour fructifier, doit s’échauffer à quelque chose de plus intime et de plus vif ; que la science n’est qu’un amas mobile qui a besoin de support et de dôme ; océan plein de périls et d’abîmes, dès qu’il ne réfléchit pas les cieux. Vous savez cela, mon ami, et vous me l’avez exprimé souvent dans vos lettres ou dans nos dernières causeries, mieux que je ne le pourrais reproduire. Vous n’avez non plus aucune de ces sottes passions artificielles qui s’incrustent comme des superfétations monstrueuses ou grotesques à l’écorce des sociétés vieillies ; vous êtes une nature vraie, et vous avez su demeurer sincère. Arrivé jeune à un degré honorable dans l’estime publique par votre esprit et vos talents, vous appréciez ces succès à leur valeur ; vous ne prenez pas là votre point d’appui pour vous élever plus haut, et ce n’est nullement par cette anse fragile que vous cherchez à mettre la main sur votre avenir. Exempt de tant de fausses vues, libre de tant de lourdes chaînes, avec des ressources si nombreuses, ce semble, pour accomplir votre destination et vous sauver du naufrage, vous vous plaignez toutefois ; vous ne croyez plus à votre pouvoir, à votre direction, à vous-même, et sans qu’il y ait pour vous encore de quoi désespérer ainsi, vous avez, je l’avoue, quelque raison de craindre.
Répétons-nous souvent: Oh! que nos âges d'autrefois, ces jeunes amis morts, s'ils revenaient au monde, rougiraient de nous voir ainsi déchus!
Comme les amitiés humaines sont petites, si Dieu ne s'y mêle ! Comme elle s'excluent l'une et l'autre ! comme elles se succèdent et se chassent, pareilles à des flots !
La miséricorde et l'amour sont le redressement des deux excès contraires,la guérison souveraine de tout orgueilcomme de toute volupté.La miséricorde ou le pardon de l'injure est l'orgueil dompté,l'amour est la volupté rectifiée;le mot divin de charité les comprend l'un et l'autre.
Passez souvent dans le sentier qui mène chez l'ami ; car autrement l'herbe y croîtra hérissée de broussailles
C'est que la jeunesse est ingrate naturellement, d'humeur fugace et passagère. Elle tourne vite le dos à ses jeux d'enfance, à la verte haie de clôture, à ce champ nourricier dont elle a butiné le miel et mangé les fruits. Elle va, elle part un matin, comme l'essaim qui ne doit plus revenir, comme le corbeau de l'Arche qui ne rapporta pas le rameau ; elle garde du passé la fleur et la dissémine au-devant. Rejetant bien loin, et d'un air d'injure, tout ce qu'elle ne s'est pas donné, elle veut des liens à elle, des amis et des êtres rien qu'à elle et qu'elle ne soit choisis ; car elle croit sentir en son sein des trésors à acheter des coeurs et des torrents à féconder. On la voit donc s'éprendre pour la vie, d'amis d'hier inconnus jusque-là, et prodiguer l'éternité des serments aux vierges à peine entrevues. Toujours excessive et hâtée, elle est peu clémente envers ce qu'elle quitte ; elle déchire ce qu'elle détache ; elle rompt les anciennes racines plutôt que de les laisser tomber. Dans son essor vers les préférences agréables, dans ses chaînes imprudentes au foyer de l'étrangère, elle méprise la bonne nature qui aime sans savoir pourquoi, et parce qu'on est plus ou moins proche par le sang.
C'est donc quand les sens ont jeté leur premier feu et que leur violence fait moins de bruit au-dedans, que l'âme malade discerne plus clairement sous la leur la voix de l'amour , la voix du besoin de l'amour.
Dans les villes d'Europe une rue, un simple mur, empêchent les membres d'une même famille de se réunir pendant des années entières ; mais dans les colonies nouvelles on considère comme ses voisins ceux dont on n'est séparé que par des bois et par des montagnes.
Ils (les souvenirs) sommeillaient, on les croyait disparus ; mais, au moindre mouvement qu'on fait dans ces recoins de soi-même, au moindre rayon qu'on y dirige, c'est comme une poussière d'innombrables atomes qui s'élève et redemande à briller.
Enviez, désirez, imaginez, coeurs de 20 ans ; élargissez-vous ! déplacez vos horizons ; attisez votre soif de guerre ; distrayez-vous le regard ! la fin du désir, le terme et la palme de l'effort est toujours l'amour.