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Critique de berni_29


♫ Tu es la beauté qui s'ignore,
oubliée dans la nuit des temps,
♫ au fond de son île au trésor,
et qui attend le conquérant,
♫ qui te délivrera du sort,
où t'ont jetée les impuissants ♫. 

Imaginez un monde où la liberté, la création et le mélange de cultures n'existent plus. Liberté de croire ou de ne pas croire. Liberté de croire autrement. Liberté de la différence. Liberté d'aimer qui on veut, comme on veut, quand on veut...
Dans ce monde, on poursuit les pensées qui transgressent, les mots qui chantent, qui vibrent, qui touchent le coeur, qui effleurent les peaux, qui disent la poésie peau contre peau...
Nous sommes en France, dans un futur proche. Fanny Saintenoy nous convie avec force dans une dystopie épistolaire qui fait froid dans le dos, tout simplement par la force du possible.
Les clés du couloir est un court roman fulgurant qui se déroule derrière les murs, derrière les barbelés, dans une geôle qu'occupe une détenue, une certaine Petra Alfente. le mot huis-clos porte ici tout son sens. Venez, suivez-moi, je vous tends Les clés du couloir.
Comment grandir dans un monde devenu fou, en proie au totalitarisme ? Comment y naître désormais... ? Petra Alfente est enfermée ici parce qu'elle est coupable d'athéisme, pas seulement, disons que c'est un fait aggravant avec toutes les autres charges qui pèsent sur son dossier : poète, traductrice, mère célibataire, amoureuse de la chanson française, de la littérature, de la vie... Elle a connu le monde d'avant, d'autres n'ont pas ce privilège ou cette douleur...
Parfois elle sort dans une cour centrale pour effectuer quelques exercices physiques, voir le ciel, s'en aveugler. de l'autre côté des barbelés, il y a un autre bâtiment, une autre cour aussi, des hommes s'y promènent. Elle sait qu'ils sont homosexuels, qu'ont les a enfermés pour cela... Elle est captée par le regard de celui-là là-bas. Sait-elle qu'il s'appelle Omeg Sfaterzy ? Sait-elle qu'il est également médecin, juif, qu'en tant qu'homosexuel ils ont cassé son mariage ? Trois bonnes raisons d'expliquer peut-être son enfermement sous le régime qui régente désormais les existences et des destins...
Lorsqu'elle revient dans sa cellule, elle décide de lui écrire... C'est comme une démarche impossible. Tout le récit sera jalonné des missives qu'elle lui écrit, à cet homme qu'elle ne connaît. Écrire à cet homme la fait tenir debout, espérer. Mais il y a quelque chose de tout aussi fort qui la fait tenir debout, c'est chanter... Oui chanter, comme vous et moi, sous la douche peut-être, bien qu'on puisse faire plein d'autres choses aussi sous la douche...
Mais comment lui transmettre ses lettres ? Comment contourner Soeur Constance, cette jeune novice totalement inféodée au régime totalitaire religieux qui a fait table rase de toute différence, toute dissension, pour poser un monde froid à la pensée désormais unique.
Ou bien, comment ne pas la contourner justement...
Petra est là, chante, murmure plutôt entre ses dents pour ne pas se faire repérer des chansons que nous autres connaissons, des chansons peut-être inconnues par les moins de vingt ans... Ferré, Brel, Barbara, Higelin, tout un monde d'avant que le régime totalitaire d'aujourd'hui a interdit de diffuser sur les ondes, sur les réseaux sociaux, sur Internet tout simplement désormais contrôlé par la seule voie légitime. Alors elle chante...

♫ L'autre qu'on adorait,
qu'on cherchait sous la pluie,
♫ l'autre qu'on devinait au détour d'un regard,
entre les mots ♫,
entre les lignes et sous le fard,
d'un serment maquillé qui s'en va finir sa nuit ♫... 

Mais soeur Constance à l'ouïe fine...
Et que pensez-vous qu'il va se passer ? Soeur Constance entendant ces mots d'un autre temps, s'échappant comme des battements d'ailes, des battements de coeur, comme une transgression à l'ordre établi, aurait répondre par une ratonnade. Mais sa seule réponse est un souffle couplé, une respiration affolée, plus qu'un trouble, c'est un choc...
Le reste c'est un chemin de transgression, ce sont des lettres comme un pont franchissant les barbelés...

♫ Ton style c'est ton cul,
c'est mon sang à ta plaie ; ♫
c'est ton feu à mes clopes,
c'est l'amour à genoux et qui n'en finit plus... ♫

Moi non plus je n'en finis plus d'attendre, attendre comme Petra... Alors, devinant le trouble de soeur Constance qui fond comme neige au soleil entendant des ritournelles comme surgi d'un juke-box imaginaire et facétieux, Petra a une idée géniale pour passer les lettres à son destinataire vers l'autre versant, de l'autre côté des barbelés...
Fanny Saintenoy nous décrit un futur pas si lointain, hélas...

♫ Froissant quelques billets du bout de ses doigts nus,
quelques billets froissés pour un passé perdu... ♫

Derrière la tension qui monte au fil d'un récit entrelacé de ces belles missives, il y a une joie qui irrigue ce texte, certes une joie parfois naïve, la plus belle des transgressions n'est-elle pas de vriller le coeur de ceux dont on pense qu'ils n'en ont pas ?
Ce récit ne sera pas pour moi un coup de coeur, mais il fut une belle parenthèse faisant une nique provisoire au pessimisme qui nous attend, nous aborde déjà... En attendant des lendemains qui vont clairement déchanter sans tarder, nous pouvons continuer de chanter avec le même enthousiasme que l'orchestre du Titanic ces beaux refrains qui ne sont pas si loin de nous...

♫  Quand on n'a que l'amour,
à offrir en prière,
pour les maux de la terre,
en simple troubadour... ♫

[Sélection Prix CEZAM 2024]
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