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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Scorpion Rouge (épisodes 132 à 138) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Il contient les épisodes 139 à 144, initialement parus en 2011/2012, ainsi que les histoires courtes parues dans Dark Horse Presents 7, 35 et 36, et dans les sketchbooks 3 & 9. Stan Sakai réalise l'intégralité de chaque récit : scénario, dessins, encrage et lettrage. Ces histoires sont en noir & blanc. Ce tome commence par une introduction de Guy Davis mettant en avant que Stan Sakai ne réalise que de bons épisodes de la série Usagi Yojimbo, que ça dure depuis le début en 1984, et que bien souvent ces épisodes ne sont pas bons mais excellents. le lecteur découvre ensuite un avant-propos sous la forme d'une bande dessinée réalisée par Stan Saki, où il se met en scène interviewant Miyamoto Usagi de manière humoristique.

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- The artist - Dans un espace dégagé en bordure du chemin, Yoshi est en train d'effectuer un dessin d'Usagi qui pose pour l'occasion. Il utilise une technique qui n'est pas traditionnelle, car il a étudié auprès d'occidentaux venus au Japon. Alors qu'ils se sont arrêtés dans une maison pour la nuit, ils sont attaqués par un groupe d'individus armés.

Ce n'est pas la première fois que Stan Sakai met en scène un individu complètement impliqué dans son art (la fois précédente, c'était un fabriquant de tambour dans le tome précédent), mais comme à son habitude, il apporte des particularités qui rendent l'histoire unique. Il évoque ici l'artiste totalement impliqué dans sa création, au point d'en devenir oublieux de la réalité qui l'entoure, mais aussi les relations difficiles du Japon féodal avec les étrangers, du fait d'une culture insulaire. L'histoire peut se lire comme un simple drame humain, avec comme toujours des dessins en apparence très simple, mais portant les émotions avec une réelle intensité, et montrant les individus et les environnements avec efficacité.

Cette histoire peut également se lire comme un commentaire sur la résistance au changement et la défiance vis-à-vis de l'étranger, jusqu'à tuer l'étranger pour éviter d'être changé par lui. En seulement 16 pages, Stan Sakai a raconté une histoire dense et intense, avec le naturel et l'aisance dont il est coutumier.

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- Buntori - le soir venu, Miyamoto Usagi s'arrête au bord du chemin et s'apprête à passer une nuit à la belle étoile. Il se rend compte qu'il s'est arrêté sur le lieu d'une bataille célèbre : la bataille des Feuilles Vertes. Il est bientôt tiré de son sommeil par deux soldats fantômes en train de se battre.

En 8 pages, Stan Sakai construit une intrigue très simple sur la base d'un combat à l'épée entre 2 soldats qu'Usagi ne peut pas arrêter car ce sont des spectres intangibles. Il utilise ses talents de metteur en scène pour donner vie aux différents coups, ses talents de directeur d'acteur pour montrer l'implication d'Usagi. Au-delà de ce qui semble n'être qu'une anecdote destinée à rappeler au lecteur de l'anthologie Dark Horse Presents que des numéros de la série Usagi Yojimbo continuent à paraître, l'auteur évoque également la force de la haine qui peut avoir des conséquences après la mort des individus concernés, se répercutant sur les générations suivantes.

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- Murder at the inn - Chemin faisant, Miyamoto Usagi arrive en plein milieu d'un affrontement opposant l'inspecteur Ishida et ses aides, à un groupe d'individus armés. À l'issue du combat, Usagi décide d'accompagner l'inspecteur Ishida (dont les 2 aides sont morts pendant la bataille) pour aller livrer le bandit Haya (son prisonnier) à l'autorité représentant l'empereur dans la ville la plus proche. du fait d'une pluie drue, ils décident de passer la nuit dans une auberge qui abrite un marchand de papier, sa fille et son assistant, ainsi qu'un poète issu d'une riche famille et son garde du corps. Un meurtre a lieu pendant la nuit. L'inspecteur mène l'enquête.

Le lecteur passe à une histoire se déroulant sur 2 épisodes, à l'intrigue plus ambitieuse. Si c'est un habitué des enquêtes en lieu clos, il repère tout de suite les conventions du genre : de la présentation des personnages, à leur interrogatoire à tour de rôle, jusqu'aux révélations finales écartant un suspect après l'autre jusqu'à ce qu'il ne reste plus que le coupable. Il sait qu'il s'agit d'un genre de récit très codifié et que Stan Sakai s'est imposé un défi délicat : donner de l'intérêt visuel à une histoire qui repose avant tout sur les dialogues.

L'introduction par un affrontement dans les bois apporte un peu de variété, avant le huis clos dans l'auberge. En embrassant les codes narratifs de ce genre d'enquête, il arrive à les utiliser avec rigueur, évoquant les mécaniques impeccables des romans d'Agatha Christie, tout en faisant vivre les personnages. À nouveau sa direction d'acteurs et la rigueur de ses plans de prise de vue permettent d'insuffler de la vie et de faire ressortir la personnalité de chacun des protagonistes. Dès sa première apparition le lecteur éprouve une envie irrépressible de gifler le poète du dimanche du fait de sa suffisance. Il compatit avec son garde du corps, très conscient de l'attitude d'enfant gâté de celui dont il assure la sécurité. Il partage l'enthousiasme du marchand de papiers pour la qualité de ses produits. Il ressent la volonté de l'aubergiste de faire honneur à ses hôtes malgré sa difficile situation personnelle, etc. À l'opposé d'une mécanique policière froide et artificielle, il réussit le tour de force de d'impliquer le lecteur, malgré le cadre contraint d'une telle histoire.

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- Two hundred jizo - Dans un village, Masa, un sculpteur, a reçu une vision du bouddha lui enjoignant de réaliser 200 petites statues de Jizo Botatsu afin de débarrasser le village des malandrins qui y ont élu domicile et qui rackettent les villageois. Après avoir aperçu les jizo, Miyamoto Usagi bénéficie de l'hospitalité du sculpteur.

Comme souvent, le lecteur apprécie le confort de la répétition des entames de récit, à savoir qu'Usagi arrive dans un nouveau village pour apporter une issue à une situation conflictuelle qu'il découvre. Il apprécie tout autant de découvrir les spécificités de cette situation, toujours contenté par l'originalité de chaque histoire. À nouveau Stan Sakai a su concevoir une dimension très visuelle au conflit, avec ces presque 200 statuettes. Il montre simplement, sans jugement, la conviction inébranlable de Masa à sculpter 200 statuettes du même boddhisattva, aussi connu sous le nom de Kshitigarbha.

Bien sûr l'issue du récit ne fait pas un pli, mais comme à chaque fois, le lecteur s'insurge contre la manière dont les malandrins imposent leur volonté et leurs désirs par la force. Il ressent les bienfaits de la catharsis lorsqu'Usagi punit les méchants. Il observe la conviction de Masa qui relève de la croyance en des interventions divines qu'il faut susciter par sa piété.

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- Ice runners - Miyamoto Usagi progresse sur un chemin, quand il voit sur un chemin voisin 4 jeunes homes en train de courir, 2 d'entre eux portant une grande boîte suspendue à un bâton reposant sur leurs épaules. Il leur vient en aide quand le groupe est attaqué par des individus armés. Les survivants lui expliquent qu'ils apportent un bloc de glace d'une montagne au seigneur d'un fief voisin, cadeau promis par leur propre seigneur. Ils sont dans la dernière journée de leur course de 507 kilomètres (parcourus en 4 jours).

À nouveau une intrigue très linéaire racontée en 1 épisode, à nouveau une trouvaille et une narration vivante et concise. Lorsque le lecteur découvre la distance à parcourir par les porteurs, il reste un peu dubitatif, surtout dans le temps annoncé. Il sourit aussi gentiment devant les attaques bien pratiques d'un clan adverse pour empêcher le cadeau d'arriver en temps et en heure. Dans les 2 pages de postface, Stan Sakai explique d'où provient cette anecdote authentique et apporte la justification de la distance et du temps de parcours. Il réussit toujours aussi bien à donner vie aux personnages, même s'ils n'apparaissent que le temps d'un seul épisode. le lecteur se rend compte qu'il espère que l'expédition réussira, et qu'il ne peut pas envisager une seule seconde que Miyamoto Usagi ne parvienne pas à les protéger. Avec le recul des siècles passés, il ne peut que réfléchir sur l'inanité d'une telle expédition, sur le prix à payer par des individus qui ont placé leur fierté au service de l'honneur de leur clan, au prix de leur vie. Il s'agit d'individus qui se retrouvent prisonniers des coutumes de leur société, qui participent volontairement à leur aliénation. Cela ne peut que renvoyer le lecteur à ses propres comportements, à son investissement, à la part d'implicite imposé par la société dans laquelle il évolue.

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- Shoyu - Miyamoto Usagi arrive de nuit dans une ville, et il voit un groupe d'individus louches devant lui. Il passe son chemin, mais constate qu'un incendie s'est déclaré dans l'entrepôt devant lequel il vient de passer. Il donne l'alerte et participe à la chaîne de seau d'eau. Puis Mitsui, le propriétaire de l'entrepôt, vient le remercier), accompagné par son assistant Kanai. Il indique à Usagi qu'il est un marchand et un fabriquant de sauce soja, et que l'incendie criminel a certainement été commandité par Hata, son rival en affaires.

Dernière histoire du recueil, et encore une surprise. Stan Sakai explique dans la postface que lui aussi ne s'est intéressé à la fabrication de la sauce au soja que très tardivement et que cela lui a fourni tout naturellement matière à une histoire. Au contact de Mitsui, Miyamoto apprend comment se prépare une sauce au soja, et le lecteur avec lui, en douceur, de manière naturelle. Stan Sakai se sert de la concurrence imposée par le système capitaliste, ainsi que de la volonté de posséder, pour nourrir la dynamique du récit. le lecteur apprécie qu'il mette en scène un artisan dont le fruit du travail trouve preneur pour ses qualités, plutôt que pour un prix plus bas, ou une stratégie de vente agressive. Comme dans tous les autres récits, il se prend d'amitié pour le fabricant de sauce soja, à la fois du fait de son apparence sympathique, mais aussi de ses saines valeurs. Il se doute bien de la résolution du conflit, mais cela n'enlève rien au plaisir de partager ces moments avec ces individus agréables, et de savoir que le bon droit triomphera grâce à l'aide d'Usagi.

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- Postface & Sukanku - En 17 pages de bande dessiné, Stan Sakai présente comment lui est venue une idée d'histoire, et sa méthode de travail jusqu'à l'histoire finalisée elle-même.

En supplément des récits parus dans les épisodes de la série, Stan Sakai se met en scène pour exposer sa méthode de travail à ses lecteurs, et potentiellement à d'autres artistes. Il dessine de manière un peu plus lâche que ses pages habituelles, sans la phase d'encrage. le lecteur peut donc assister à la naissance de l'idée du récit, suggérée par Sergio Aragonés (le créateur de Groo) lors d'un séjour à Barcelone. Il voit ensuite comment l'auteur découpe son récit en pages, allotissant le nombre de pages par scène dans un déroulé manuscrit très synthétique. Puis Sakai présente les facsimilés rapides de chaque page, établis à petite échelle, et enfin le résultat final. Cette partie permet au lecteur de découvrir comment un artiste travaille, ainsi que les différentes étapes permettant de structurer la narration en bandes dessinées. C'est très facile à lire, et plus ou moins instructif en fonction du degré de familiarité du lecteur avec ce métier.
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