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Critique de Woland


Catherine Salles a écrit de nombreux livres sur l'Antiquité dont, entre autres, "Lire A Rome", que je chercherai sans doute à me procurer un jour ou l'autre. Elle est d'ailleurs Maître de conférences en civilisation latine dans une grande université de la région parisienne. Elle s'est tout particulièrement intéressée à l'Empereur Tibère, qui désigna Caligula comme son successeur. Or, je lis actuellement un roman sur la jeunesse de l'énigmatique Troisième César qui, selon les auteurs, soit était complètement déséquilibré dès le berceau, soit sombra dans la folie sous l'influence du pouvoir et aussi d'assez mauvais gènes qui se réveillèrent chez lui au cours des années . Caligula étant resté célèbre en partie pour ses folies sexuelles en tous genres, j'ai pensé qu'il me fallait me renseigner avant toute chose sur les milieux qui favorisaient à son époque la prostitution et le proxénétisme avant de passer non seulement au roman sur le futur empereur mais encore à une biographie le concernant et qui doit traîner dans une pile (Suétone n'est pas toujours très juste dans sa "Vie des Douze Empereurs"), puis au "Néropolis" de Monteilhet (qui, on me l'a affirmé, se passe en partie sous Caligula) et quelques autres ouvrages ...

La Petite Bibliothèque Payot, chez qui Salles est éditée, est une collection de références - du moins à mon avis. de fait, je n'ai pas été déçue par cet ouvrage soigneusement divisé en deux parties : les bas-fonds de la Grèce antique tout d'abord et surtout d'Athènes, de Corinthe et d'Alexandrie (oui, je sais qu'Alexandrie est en Egypte mais elle fut tout de même fondée par Alexandre le Grand et la célèbre Cléopâtre, septième du nom, était d'origine certainement plus grecque qu'égyptienne ) et ensuite, les bas-fonds de Rome la Grande, l'Unique.

Un point important à se rappeler pour celles et ceux qui voudront lire ce document : la morale en usage ici est antérieure au christianisme. Il serait donc absolument vain et profondément injuste de juger les personnages que Catherine Salles met en scène, du plus humble au plus fastueux, selon notre morale à nous - pour ceux en tous cas qui en conservent encore un minimum.

On ne poussera donc pas les hauts cris en apprenant que les enfants étaient largement utilisés comme objets sexuels, voire élevés pour ce faire (on retrouve le procédé, mais en beaucoup plus raffiné, dans "le monde des Fleurs" japonnais, par exemple). Mais attention ! En Grèce comme à Rome, il fallait qu'ils fussent nés esclaves. Si un enfant né libre ou d'un esclave affranchi était enlevé et contraint à se prostituer, le châtiment encouru était des plus graves pour le ou les ravisseurs.

Il va de soi que je réprouve sévèrement l'idée que de tout jeunes esclaves se retrouvent livrés à des gens que l'on pourrait qualifier de pédophiles si on ne les voyait en parallèle ici accompagnés d'une hétaïre (courtisane grecque dont le nom, littéralement, signifie d'ailleurs "compagne"), là d'un jeune homme adulte, esclave ou libre. Salles souligne d'ailleurs l'incroyable misogynie des Grecs qui enfermaient les épouses, filles et soeurs dans le gynécée mais estimaient beaucoup plus normal, pour ne pas dire indispensable, l'amour entre un homme d'un âge pour le moins certain et un autre, nettement plus jeune. A force de nous tétaniser d'admiration devant certains écrits des philosophes grecs, nous oublions volontiers que les fameux "banquets" réunissaient certes les prostitués des deux sexes et de tous les âges mais que, à l'issue du repas, les femmes se retiraient le plus souvent, laissant la salle aux seuls êtres mâles.

A Rome, la préférence pour les hommes n'était pas si marquée. Elle existait, certes, mais les Romains semblent s'être montrés à la fois plus classiques et encore plus fous, lorsqu'ils s'y mettaient, dans leurs goûts sexuels. de cette partie du livre, on gardera longtemps l'image du "leno" et de la "lena" - le maquereau et la maquerelle - qui, comme on s'en doute, étaient hautement méprisés par ceux-là mêmes qui recouraient à leurs services. Les gladiateurs, on l'apprend aussi (ou on se le rappelle si l'on a vu "Quo vadis ?" ou "La Tunique"), avaient droit, la nuit qui précédait les combats, aux services de prostituées quand ce n'étaient pas des grandes dames qui soudoyaient leurs gardiens pour se glisser dans leurs cellules et les combler peut-être pour la dernière fois. Et là se place une différence majeure qui parle sans doute en faveur des Grecs : Rome a, plus qu'Athènes, plus que Corinthe, plus même que Sparte, inextricablement relié le sang, le sexe et la Mort. (Ce qui a d'ailleurs peut-être eu une incidence, soit-dit en passant, sur la démence de nombre de leurs dirigeants.)

Sur ce volume de 311 pages, il y a encore beaucoup à dire (par exemple sur la prostitution sacrée, venue tout droit de Babylone et probablement de civilisations pré-historiques qui se souciaient tant de la fertilité) et, si le sujet vous intéresse, je ne saurais trop vous conseiller de le lire, à tête reposée et, si vous n'êtes pas très férus d'Antiquité, en prenant même des notes. Cela vous aidera sans nul doute à mieux comprendre des civilisations brillantes qui, au sein du pire mépris de l'homme, de la femme et de l'enfant, laissent éclater d'inattendues perles de bonté et le désir réel, chez certains, d'améliorer l'existence de ceux que la société, pour mieux survivre, traitait en parias.

Quoi qu'en disent certains, nous sommes les héritiers directs de ces deux grandes civilisations, si imparfaites qu'elles furent. Sachons ne pas l'oublier et, sans excuser les excès qui choquent notre morale, à nous qui tolérons pourtant aujourd'hui l'esclavage, sous toutes ses formes, des enfants, des femmes et des hommes dans certains pays, tout cela au nom de la non-ingérence et pour le plus grand profit de certains, ayons la pudeur de ne pas les juger. S'il est un défaut qu'ils ne pratiquaient pas, c'est bien, semble-t-il, en ce domaine de l'esclavage, surtout sexuel, celui de l'hypocrisie. En d'autres termes, ne donnons pas de leçons, nous qui pourrions en recevoir tant ... ;o)
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