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Critique de LightandSmell


La couverture avec cette femme qui avance seule dans le brouillard, d'un pas qui semble décidé, m'a tout de suite intriguée. Elle représente d'ailleurs assez bien ce que traverse Iris Woodmore, une journaliste stagiaire, qui depuis la révélation d'un homme rencontré par hasard, est dans le brouillard quant à la mort de sa mère, une suffragette convaincue et militante. Alors qu'elle la pensait victime d'un accident peu de temps après son coup d'éclat politique, elle découvre que cette dernière aurait volontairement sauté d'un pont pour couler dans l'eau sombre de la Tamise ! Une révélation bien difficile à croire pour la jeune fille qui, en bonne journaliste, décide de mener l'enquête sur ce qui s'est réellement passé ce jour fatidique. Tragique accident, meurtre ou suicide ?

Au cours de son enquête, Iris va découvrir que sa mère n'était pas seule lors de son action dans la Galerie des dames. Elle était accompagnée, entre autres, d'une certaine Rebecca, qui a elle-même étrangement disparu ! Et si les deux affaires étaient liées ? Son enquête, qu'elle mène avec détermination, prend une tournure d'autant plus intéressante que Rebecca était femme de chambre chez Lady Timpson, candidate au poste de député. Une candidate qui semble prête à tout pour remporter l'élection, au grand dam d'Iris qui supporte avec ferveur sa concurrente, mais une candidate bientôt au coeur de la tourmente…

J'ai adoré le talent avec lequel Michelle Salter fait converger ces différents points nous offrant une enquête passionnante, émaillée de questionnements, de doutes et de découvertes, en même temps qu'un récit historique et politique nous plongeant en pleine lutte des Anglaises pour le droit de vote. À cet égard, la dimension féministe est particulièrement bien amenée, d'autant qu'elle n'est jamais lourde ou insistante. En plus de figures historiques brièvement évoquées, comme Emmeline Pankhurst, on découvre les dissensions qui existaient au sein même des féministes, les suffragistes plaidant en faveur d'un mouvement pacifiste, et les suffragettes pour un mouvement plus radical avec des actions fortes mais jamais dangereuses pour autrui. Cette plongée dans la vie politique londonienne de 1920 m'a beaucoup plu, l'autrice la rendant vivante et étrangement actuelle.

Alors que les campagnes électorales en France ne me passionnent guère, j'ai suivi avec intérêt les programmes des trois candidats, et les manoeuvres de Lady Timpson pour écraser la concurrence. Je dois dire que j'ai trouvé cette femme exécrable autant dans ses opinions que ses méthodes. Elle symbolise un peu tout ce que je méprise en politique, cette tendance de certain(e)s à se battre pour une seule chose, leurs intérêts. Et pourtant, l'autrice opère un retournement de situation qui ne la rend pas plus sympathique sur le plan de ses idéaux, mais qui nous pousse à ressentir une énorme empathie et compassion pour cette femme qui a traversé de terribles épreuves. Rappelons que personne, absolument personne, ne sait vraiment ce qui se passe dans une maison une fois ses portes closes ! Lady Timpson, personnage plus complexe qu'il n'y paraît, nous prouve ainsi qu'on peut-être bourreau grâce à sa condition sociale et victime en raison de son sexe.

Le récit se part d'une autre tonalité, l'autrice évoquant de nouveau les droits des femmes, ou plutôt l'absence de droits, mais sous une autre perspective. Elle nous rappelle ainsi avec force et de manière brutale que si l'argent permet bien des choses, il ne mettra jamais à l'abri des bourreaux domestiques, a fortiori dans le contexte historique de l'époque… Je dis dans le contexte de l'époque mais il suffit d'ouvrir un journal pour voir que les choses n'ont guère évolué. J'ai d'ailleurs apprécié que l'autrice nous fasse suivre l'évolution d'Iris qui, bien qu'en avance sur son temps et sensibilisée à la cause féministe, va tomber dans le piège des apparences, avant heureusement de réaliser l'ineptie de ses préjugés…

Au-delà des violences faites aux femmes, l'enquête d'Iris va la confronter à d'autres thématiques, comme la corruption, la lutte des classes dans cette Angleterre du début du 20ème siècle encore très marquée par les inégalités sociales et économiques, le travail des enfants, l'éthique liée au métier de journaliste… Un journaliste doit-il toujours tout dire et révéler au public ? Est-il moralement acceptable d'être juge et partie en taisant certaines informations ? Des questions auxquelles sera confrontée Iris, qui va découvrir que déterrer les ombres du passé est une chose, savoir ensuite quoi en faire et en assumer les conséquences, en est une autre.

De fil en aiguille, on voit la jeune fille affiner ses opinions et les revoir sous un prisme un peu moins manichéen. Il faut dire que son enquête, qui va se complexifier au gré des révélations, lui permettra indirectement de faire un travail de deuil vis-à-vis de sa mère qui lui manque, mais pour laquelle elle a longtemps éprouvé des sentiments contradictoires… À l'aune de ce que l'on découvre sur les meurtrissures de Rebecca et de Lady Timpson, l'engagement envahissant de sa mère pour le mouvement des suffragettes prend une tout autre dimension. Loin d'être le fait d'une femme égoïste, il nous apparaît comme le cadeau d'une mère à sa fille pour qu'elle grandisse dans un monde où les femmes seraient les égales des hommes !

Quant au style de l'autrice, il est fluide, agréable et subtilement immersif. le récit manque parfois de tonicité, mais il est également le reflet d'une époque encore traditionnelle, dépourvue de l'exigence de rapidité liée à la modernité. Iris enquête avec les moyens dont elle dispose, et le fait avec beaucoup de constance et de talent, creusant chaque piste avec pugnacité mais aussi humanité. Une humanité qui se reflète dans les mots de l'autrice qui aborde des thèmes difficiles dans un contexte d'après-guerre pas forcément simple, mais qui le fait sans jamais tomber dans le misérabilisme. Il y a autant d'ombre que de lumière dans ce roman !

En conclusion, avec Les Ombres de Big Ben, Michelle Salter nous plonge avec beaucoup de réalisme dans une Angleterre du 20ème siècle où s'opposent valeurs traditionnelles et volonté d'émancipation féminine. Un portrait social mis au service d'une enquête qui conduira une jeune journaliste à rouvrir les blessures de son passé, mais aussi à déterrer de sombres secrets prouvant que noblesse de classe n'est pas toujours noblesse de coeur. Entre une enquête dont découlent de terribles révélations, une campagne électorale autour de la lutte des classes et des droits des femmes, et une portée historique puissante, les lecteurs devraient se laisser porter par ce roman aussi riche que passionnant.
Lien : https://lightandsmell.wordpr..
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