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Critique de Jolap


J'ai découvert très récemment Lydie Salvayre juste en lisant son livre : Pas pleurer
J'ai aimé la manière dont elle avait organisé son récit le rendant vivant, musical et très singulier. Alors c'est tout naturellement que j'ai voulu poursuivre ma découverte de cette auteure avec La puissance des mouches.

Lydie Salvayre excelle dans les tête-à-tête. C'est un peu comme si elle prenait en charge un personnage, un seul, pour mieux le cerner, le sonder, le triturer, le comprendre, l'entourer et trouver en lui ce qui va servir une belle histoire, une histoire digne d'intérêt. Avant de se consacrer pleinement à l'écriture, Lydie Salvayre exerçait en tant que psychiatre hospitalier. Un pont ? Oui pour moi cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Elle fait preuve d'empathie, de compassion et expose les souffrances, les blessures, les traumatismes de ses héros, mieux elle s'en nourrit pour mieux nous les faire apprécier, dévoilant l'espace baigné dans d'ombre et suggérant leur part inévitable de lumière. Elle travaille le rythme s'emballant dans les zones de turbulence et feutrant ses propos dans les moments d'accalmie. Nous avançons à pas lents et calculés. Elle multiplie les indices et nous laisse vérifier nos doutes, apprécier nos sentiments. A nous de voir ! C'est fort je trouve.


La puissance des mouches, c'est un interrogatoire dans une prison.

Celui qui est interrogé. Un meurtrier. Nous l'apprendrons à la moitié du récit. Il est guide à l'Abbaye de Port Royal des champs. Et comme si, encore une fois, l'auteure avait besoin d'une référence de choix, d'un faiseur de morale, d'un donneur de leçons, d'un philosophe patenté, juste pour donner du corps à l'ouvrage. Elle choisit Pascal dont le meurtrier s'éprend comme pour l'aider à ne pas sombrer dans le néant d'une vie ordinaire. Qui mieux que Pascal pourrait investir l'abbaye et son fidèle serviteur ?
Oui, ce prisonnier voue une véritable admiration à Pascal et égraine cette fascination dans une vie sordide pour lui donner un peu de souffle, pour se justifier d'être ce qu'il est, pour comprendre un peu mieux cette haine qui le ronge et qui ne fait que croître.

« Les hommes sont pareils aux chiens…..et en prononçant ces mots, monsieur le juge, je repense à maman qui est morte avant de mourir…. » . Il décrit juste l'enfer dans lequel il a été baigné, quand, enfant il vivait sous le joug d'un père brutal et d'une mère qui ployait sous les coups : « Maman possède un équivalent de la ceinture à clous de Pascal : c'est papa. » et un peu plus loin il résume : »Mon père n'a d'humain docteur, que sa méchanceté. et le meurtrier de poursuivre dans cette boucle infernale de l'existence : « Chaque jour, donc, je travaille à l'éducation de ma femme. Je l'asticote. Je la pique. Je l'attaque. Je la vexe. Je l'accable de sarcasmes et de petites scélératesses. Mon but est d'obtenir qu'elle se défasse entièrement de moi. » Oui….la boucle est bouclée ! La marionnette est dépendante.

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Celui qui interroge ? Tour à tour un juge d'instruction, un psychiatre (tiens !) l'infirmier de la prison, l'avocat resteront des personnages muets. A nous de comprendre qui ils sont ! à nous de formuler leurs questions en lisant bien les réponses du meurtrier. On le fait sans difficultés. le récit est limpide. La puissance des mouches peut-être la puissance des mots. L'auteure nous dit : « La langue française doit être mise dans un écrin pour la sortir les jours de fête."
Elle nous fait partager quelques jours de fête avec délicatesse, fougue ou n'est-ce simplement que de la générosité.

Nous ne saurons le nom de la victime qu'à la dernière ligne du dernier chapitre, juste avant de fermer le livre.

L'Espagne malmenée en toile de fond, les Pensées de Pascal, la haine, tout est savamment articulé pour donner au lecteur un plaisir actif. Il est témoin dans un coin de la pièce avec une immense fenêtre ouverte sur des horizons de différentes formes et de différentes couleurs.
J'ai lu ce matin une critique de Rabanne qui déclare avoir abandonné sa lecture avant la fin de : Fugitive parce que reine. Trop cruel, trop dur, enfance trop bousculée, et trop c'est trop. J'ai bien compris le ressenti de rabanne et je le partage, mais là, ce n'est pas la même violence du-tout. le personnage gère lui-même cette brutalité et nous laisse en paix. Je ne comprends même pas pourquoi ce ressenti de cruauté tranquille. Je ne saurai l'expliquer. Un savoir-faire. La magie de l'écriture où les mots sont posés au bon endroit?


Pendant des années cette auteure a laissé parler ses patients. Elle a écouté certainement avec une attention toute professionnelle, mais plus encore. Elle a accumulé les vies, a empilé les fonctionnements et les réactions diverses, les expériences, les plaies béantes et les façons de voir. Elle les a gardés en mémoire comme un matériau fondamental qui, ajouté à sa solide formation littéraire et à son histoire familiale forment le creuset d'une source inépuisable de sujets romancés aux accents de vérité et aux touches autobiographiques.

Elle ajoute sa recette personnelle faite d'une infinie puissance et d'une infime légèreté….Exactement comme les mouches.
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