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Critique de Jolap


Pas pleurer est une rencontre marquante et nécessaire entre l'auteure, Lydie Salvayre, et sa maman surnommée Montse, nonagénaire souffrant de sérieux troubles de la mémoire.

Pas pleurer, l'injonction que l'on s'impose lorsque, témoin d'un récit brûlant d'émotion racontée par une personne aimée, malade et âgée, on espère en retenir le moindre détail, avant qu'il ne soit trop tard ! On espère retenir ses larmes pour ne pas alourdir l'atmosphère, pour ne pas troubler l'attention. On espère avoir trouvé une idée de conversation idéale pour rallumer la flamme et susciter l'intérêt.

Montse se souvient avec une précision d'horloger de cet été 1936. Juste cet été 36. Nous sommes en Espagne au moment de l'insurrection républicaine face au fascisme de Franco. Montse a quinze ans. Les joies et les malheurs se mêlent étrangement pour en faire l'année la plus intense de sa vie. L'aventure incroyable de son existence ! Une aventure inespérée.

La lutte sanglante entre communistes, anarchistes, socialistes, républicains modérés et les forces militaires à la solde de la dictature franquiste soutenue par l'église , Montse qualifiée de « Mauvaise pauvre » a tout gommé de sa mémoire. Elle n'a gardé en tête que « les jours enchantés de l'insurrection libertaire » qui servit de préambule à cette guerre.

Et c'est sur un ton enjoué qu'elle reconstruit sa vie, son frère bien aimé Josep l'anarchiste, Diego « le bâtard » communiste, ses parents, son mariage, sa vie, ses enfants, ses actions et ses actes manqués.
Ses phrases sont musicales. L'actrice d'un été sort soudain de l'ombre et s'applique à donner sa version des faits avec une légèreté confondante. Sa mémoire n'a retenu que ce qui pouvait l'enthousiasmer, la porter, lui faire un dernier plaisir, évacuant tout le reste d'un coup de baguette magique.

Une voix lui fait écho. Celle de Lydie Salvayre sa fille. Une voix grondant les mots pour raconter les conditions de vie de milliers de gens qui voulaient juste améliorer leur situation sans perdre le peu qu'ils avaient. Une voix criant les familles déchirées. Une voix calée dans l'Histoire. Une voix violente et radicale sans concession comme le fût cette guerre civile espagnole. Une voix miroir qui dénonce l'Italie de Mussolini, l'Allemagne d'Hitler une sorte de ménage à trois avec l'Espagne de Franco. Une voix injurieuse, ravageuse, insultante.


Et comme si elle voulait marteler son amertume, pour qu'elle devienne indélébile, l'auteure saupoudre son récit de passages écrits par Georges Bernanos dans « Les grands cimetières sous la lune ». Georges Bernanos d'abord sympathisant du mouvement franquiste, fervent catholique, devient le témoin horrifié du massacre des innocents de Palma de Majorque. Il dénonce « L'infâme connivence de l'église espagnole et des militaires épurant systématiquement les suspects ».Tout l'incitait à soutenir les nationaux. Il était pour, il devient contre. Il est choqué, anéanti, révolté par la barbarie. Une voix sobre, libre, courageuse, dotée d'un vocabulaire riche, précis. Un témoignage accablant écrit avec de belles lettres.

J'ai aimé lire ce récit, ce prix Goncourt. L'idée de voix se faisant écho est intéressante et donne en même temps de la profondeur et du relief à cette histoire au rythme fou, à la musique savamment orchestrée. le changement de personnages, changement de profil, changement de parcours à intervalle régulier offre une sonorité particulière, un peu comme un refrain. Il y a des passages sublimes, où le diable en personne a infusé ce qu'il faut de miel pour donner l'illusion d'une jolie histoire, explosive et jolie, jamais triste. Oserais-je comparer certains passages à un morceau de rap ?
Je parle de refrain. Quant au caractère mélodieux il est un peu gommé (à mon avis) à de multiples reprises par les multiples injures, mots orduriers et blasphèmes en français, en espagnol qui égrainent les propos de l'auteure. Est-il nécessaire d'aller jusque-là ? S'agit-il d'une plus-value ? rien n'est moins sûr même si Lydie Salvayre affirme dans une interview que la langue espagnole accepte le mauvais goût. Non, Je ne suis pas sure !

Montsé parle un français approximatif que sa fille nomme le « Frangnol ». (griter pour crier. Riquesses pour richesse, maraveilleuses etc) je trouve le trait un peu forcé pour une femme qui vit en France depuis 1939. Ce n'est pas crédible mais je reconnais que cela ajoute au rythme et à la légèreté de certains passages. Pauvre Montse ! elle est affublée tout de même…

Enfin la répétition à l'envi des adverbes qui est visiblement une figure de style de l'auteure aurait été plus harmonieuse (toujours selon moi) si elle avait été moins fréquente. le trop est l'ennemi du bien.
Je pinaille, je pinaille. Pas pleurer. Un très beau roman. Emouvant, original, éloquent, turbulent ;
Allons donc ! J'ai beaucoup aimé ce livre. Et si vous ne l'avez pas encore fait. Précipitez-vous, vraiment !
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