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Critique de Mermed


En lisant Lucien

Les hommes furent, jadis, atteints d'une singulière maladie. C'était une fièvre dont l'invasion fut générale, et qui se manifestait dès le début avec beaucoup d'intensité et de continuité; tant que la fièvre durait, elle installait dans leur esprit un tic amusant: ils prenaient tous des mines tragiques, des airs concernés, déclamaient de pompeuses banalités, faisant du lieu commun leur fonds de commerce. Cette manie a désormais gagné la plupart des beaux esprits, qui négligeant de raconter les faits, et encore plus de les comprendre se répandent en éloges ou en critiques sur ces princes qui nous gouvernent et ces artistes capillaires, culinaires ou vestimentaires qui font notre goût, élevant jusqu'aux nues ces Homères du ciseau, ces Léonard de Vinci du ris de veau...
Je veux parler de certains beaux esprits, dont je tairai les noms, mais dont je ne puis passer sous silence les buts, les écrits ou les propos, au delà de tout ce que peut espérer le ridicule. Dès le début ils posent une question, et s'efforcent de prouver par un raisonnement vigoureux qu'il ne convient qu'aux sages (c'est à dire eux-mêmes) de décider du sort du monde et d'écrire l'histoire. Viennent ensuite d'autres raisonnements, pour louer jusqu'à la bassesse les princes de la politique ou de la cuisine qui les nourrissent, inepties que la cuistrerie leur fait débiter, eux qui ne voient pas ce qui devrait attirer leur attention, et quand bien même ils le verraient, ils n'auraient pas le talent nécessaire pour l'exprimer. Ils inventent et arrangent tout ce qui se présente. Ils cherchent à se donner de l'importance en encourageant leurs princes à se venger des humiliations subies et en nous donnant un grand nombre livres, dont les titres mêmes sont des chefs-d'oeuvre de ridicule.
Le bel esprit, libre de ses opinions, ne craignant personne, n'espérant rien, incorruptible, indépendant, ami de la franchise et de la vérité, appelant un imbécile un imbécile, ne donnant rien à la haine ni à l'amitié, n'épargnant personne par pitié, par honte ou par respect, juge impartial, n'accordant à chacun que ce qui lui est dû, sans pays, sans lois, ne s'inquiétant pas de ce que dira tel ou tel, mais racontant ce qui s'est fait -où est-il parti ?
Je peux aussi parler de nous, naïfs et crédules clients de ces marchands de mots et qui nous imaginons paraître important et compétent en nous empressant d'acheter leurs écrits et d'adhérer à leurs paroles; mais l'affaire tourne autrement et ne fait que mieux ressortir notre ignorance, puisque nous n'achetons que les propos creux correspondant aux besoins d'argent et de célébrité de leurs auteurs, propos dont l'éloge est fait au hasard des amitiés ou des humeurs.
Le singe, dit un proverbe, est toujours singe, eût-il des habits d'or, nous avons sans cesse un livre à la main, un entretien dans l'oreille mais nous ne comprenons rien à ce que nous lisons et à ce que nous entendons, le plus souvent – et c'est à notre décharge - parce qu'il n'y a rien à comprendre;
Nous croyons, sans doute, remédier à notre ignorance, la déguiser sous l'apparence de l'érudition, mais le savoir se vend au marché, il est à ceux seuls qui sont riches, et qui nous écrasent, nous les pauvres.

Ces mots me sont venus après mes (nombreuses et fréquentes) lecture de Lucien de Samosate, né vers 120 à Samosate (province Romaine en Syrie), mort après 180, philosophe satiriste, admiré par Nietzsche qui a inventé un mot: le dysangile, pour qualifier son oeuvre.

Lien : http://holophernes.over-blog..
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