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Critique de oblo


Ce New York là n'est qu'un simple décor : les lumières, les gratte-ciels et les bruits n'ont rien de gigantesque. Chaque personnage porte son drame et sa vilenie et la grandeur de la ville ne signifie que la multiplicité des tragédies personnelles. Dans la faune locale se glissent les auteurs eux-mêmes. En se mettant en scène, Munoz et Sampayo indiquent qu'ils ne sont pas seulement des auteurs qui prennent en main un sujet ; ils se placent comme Sud-Américains portant un regard critique sur la société américaine.

Histoire après histoire transparaît la noirceur de l'âme humaine : incestes, extorsions, chantage, vols, meurtres composent la matière de ces presque quatre cents pages de l'album. Cette malédiction se reflète dans la noirceur du dessin, dont la qualité graphique est l'un des points forts de l'oeuvre. Un trait sombre qu'il faut parfois déchiffrer, avec de grands aplats de noir ou de subtils tracés qui rappellent les pattes des maîtres argentins ou italiens. Dans Alack Sinner, la violence est omniprésente : dans la rue, dans les familles, dans les institutions (police), dans le sport (la boxe). Cette violence physique n'est que le reflet de la société, elle-même très compartimentée et racisée, d'où des épisodes humiliants et cruels pour Alack (avec les amis du jazzman, ainsi qu'avec la tante de sa fille) pendant lesquels il est renvoyé à son statut d'homme blanc, ce qui est normal puisque ses interlocuteurs sont exclusivement renvoyés à leurs statuts d'hommes ou de femmes noirs.

Alack Sinner, c'est aussi la démystification du culte des apparences : ainsi ce couple de pasteurs dont le mari aime trop la progéniture tandis que l'épouse la déteste ; ainsi Enfer, la compagne d'Alack, qui lui ouvre plutôt les portes du paradis ; ainsi la police censée protéger les citoyens mais qui les abat par folie politique ou personnelle ; ainsi le nom de Sinner dont la signification apparaît en contradiction avec les principes profonds du bonhomme. Cet agrégat d'histoires publiées indépendamment a déjà le mérite de présenter en un volume des histoires d'une grande qualité graphique. le défaut inhérent à ce type de publication est qu'au début, les enquêtes de Sinner semblent se répéter tant la noirceur humaine est présente. Autre défaut récurrent dans les histoires : le manque de clarté narrative : le point de vue du personnage principal semble mettre de côté, parfois, le lecteur.

Cependant, l'intérêt de cet album est aussi de mettre en valeur le développement en profondeur du personnage. Alack, simple détective privé au début, se révèle peu à peu. il a démissionné de la police à cause de la violence institutionnalisée, bien qu'il soit amené à collaborer avec elle dans le cadre de ses activités. Alack est aussi un homme profondément seul. Cette solitude est paradoxale tant une métropole telle que New York, mais c'est là un thème que l'on retrouve dans d'autres romans new yorkais, comme dans ceux de Paul Auster. Alack a une famille, certes : une soeur qui vit en Angleterre, un père avec qui les rapports sont impossibles, car le père ne sait pas parler à coeur ouvert. La fonction de détective devient peu à peu secondaire : on voit Alack devenir chauffeur de taxi, puis perdre sa licence. Avec Enfer, il rencontre l'amour charnel avant d'entrevoir la possibilité d'une famille.

Loin de s'attacher fermement, même aux femmes qu'il aime, Sinner possède une âme dont les sillons ont été creusés par les affaires dont il a été le témoin. Jamais en paix, Sinner est sans cesse renvoyé à celles-ci. Dans l'océan new yorkais, Sinner est un naufragé dont les bouées s'appellent Nick, Enfer et Cheryl. A la fin du premier tome de l'intégrale, il ne s'est pas encore noyé.
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