A cette minute, j'ignore le temps qu'il me reste à vivre en état d'innocence. J'ignore tout de la tragédie à venir. Mortellement piégée, je ne sortirai pas "vivante" de cet endroit.
La mort me tente toujours comme un galop de liberté sur un cheval fou.
Mon visage, mon nom, on s'en fout, mais l'histoire en elle-même, non, ne l'oubliez pas.
On prévient les gens lorsqu'un médicament est dangereux, on affole l'Hexagone, les médias se mettent en quatre, en huit. Mais dire "Cet homme est dangereux", personne ne le peut. Attention : ségrégation, dénonciation, racisme, secret médical, droits de l'individu. Un être humain, conscient, responsable.
Lui, c'est n'importe qui. Il peut passer pour quelqu'un de tout à fait normal, pour quelqu'un qui n'est pas drogué, pour quelqu'un qui écrit de très jolies choses... Il peut passer pour quelqu'un qui aime.
Combien sont-ils comme Anthony ? Drogué, irresponsable, veule et lâche : "Je me fous de tout, et d'abord de moi, donc vous n'avez rien à me dire, rien à me conseiller, rien à m'ordonner."
"Si je lui disais que je n'aime de moi que l'idée que l'on m'aime?"
"C'est peut-être cela que l'on cherche toute sa vie, rien que cela, le plus grand chagrin possible, pour devenir soi-même avant de mourir.
Louis-Ferdinand CÉLINE"
Et puis, j'ai la pilule. Ma mère m'a permis de la prendre à quatorze ans, non par précaution maternelle, en prévision de turpitudes quelconques, mais tout simplement pour régulariser un cycle trop perturbé. Les gamines anorexiques comme moi ont ce genre de problèmes, comme si elles avaient du mal à être femmes. Du mal à vider une assiette, du mal à suivre les lunes, du mal à vivre.
Rimbaud n’est plus, le roman de mes dix sept ans a le parfum amer d’un mélo de zonarde. Poésie, rêve, mon refuge meurt sur un quai de gare. Je n’irai plus jamais sous les tilleuls de la promenade.
«s’il se réveille, s’il voit que je ne suis plus là, il va se poser encore plus de questions sur moi. Je ne veux pas qu’on se quitte comme ça»
Il y à toujours eu une espèce de duel entre la mort et moi. Je n'essaie pas de la provoquer, mais je la défie souvent. Je prend des comprimés, j'écris des lettres d'adieu et elle est là, toute proche.
Belle, il le dit depuis le début. Lorsque j'étais petite fille, on me le disait souvent. Puis plus maintenant. Jusqu'à lui, Antony, personne ne l'a jamais dit autant. Et différemment. Quand il me voit nue, qu'il touche mon corps, il en fait une preuve à sa manière.