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Critique de enjie77


Brillant, d'après moi, c'est l'adjectif qui convient à cet ouvrage qui n'est ni un roman ni un essai. Brillant parce qu'il parvient à fixer l'attention d'un large public sur deux concepts de droit qui, pour les non initiés, représente une performance d'auteur, brillant l'idée de mêler son histoire personnelle à l'histoire collective de la Shoah et à l'évolution du droit et d'une grande consistance intellectuelle de par son contenu.

Je connaissais, comme la plupart d'entre nous, les termes « génocide » et « crime contre l'humanité » mais j'ignorais totalement la genèse de ces deux expressions et de leurs auteurs, Raphaël Lemkin et Hersch Lauterpacht.
Tout dans ce livre interpelle : notamment les circonstances qui ont amené Philippe Sands, avocat franco britannique de renommée internationale, professeur d'Université, à enquêter sur le procès de Nuremberg et sur l'origine de notre système de droit international.

L'observation que j'ai du monde qui m'entoure m'a amenée à penser que le hasard n'existe pas et j'aime cette phrase « Lorsque l'élève est prêt le maître se lève ». Je m'explique :

Philippe Sands reçoit une invitation de l'Université de droit de la ville de Lviv en Ukraine. Cette ville portait le nom de Lemberg sous l'empire austro-hongrois, Lwow lorsqu'elle fut incorporée à la Pologne après la première guerre mondiale, sous les soviétiques au début de la seconde guerre mondiale, elle devint Lvov, puis redevint Lemberg sous l'occupation allemande pour devenir une ville ukrainienne Lviv - (j'ai d'ailleurs mis en ligne une citation sur l'histoire d'un banc qui n'a jamais changé de place mais plusieurs fois de nationalités)!

Curieusement, Philippe Sands découvre que cette ville de Lviv n'est autre que Lemberg d'où est originaire son grand père maternel, Léon Buchholz. Pour échapper aux nazis. Léon s'est enfui et comme tous les rescapés de la Shoah, il n'a jamais fait le récit de son histoire d'avant son arrivée en France. Quoi de plus naturel pour Philippe Sands que de vouloir profiter de ce voyage pour en savoir plus sur ses origines. Et fait tout aussi extraordinaire, lui, avocat très investi dans le droit international, il découvre que l'université de droit de Lviv à donner naissance à deux grands juristes qui ont marqué à jamais le droit international : Hersch Lauterpacht et Raphaël Lemkin. Comment résister à un tel clin d'oeil du destin. Delà s'ensuit une enquête sur le passé de cette ville, déchirée, malmenée, par les guerres, la découverte d'une communauté de vie entre les familles Buchholz, Lemkin et Lauterpacht jusqu'au procès de Nuremberg et aux débats d'idées qu'ont suscité la naissance des concepts « Génocide » et « Crime contre l'humanité » : débats qui sont toujours d'actualité.

C'est passionnant. Je connais bien l'excitation qui peut saisir une personne en quête de ses racines. La généalogie est palpitante, quand on y met le doigt, on y laisse la main puis le bras. J'avoue avoir envié Philippe Sands d'avoir pu se rendre sur place. Voir les lieux, les sentir, les ressentir, imaginer ses aïeux s'animer sous ses yeux, c'est une part de soi-même qui prend vie, c'est enfin sortir de l'abstrait, du flou, du lointain.

A la communauté de destin des familles Buchholz, Lemkin, Lauterpacht, vient s'ajouter le portrait du « Boucher de Pologne » Hans Frank, gouverneur de Pologne, dont le fils, Nicklas Frank est devenu l'ami de Philippe Sands, et qui a écrit un best-seller très controversé sur son père dans lequel, il règle ses comptes et que je comprends (c'est le même sang qui coule dans ses veines) ! A cet effet, j'ai trouvé un reportage sur « The Times of Israël » intitulé « Quand un fils ne peut admettre les crimes de son père ». En revanche, Horst von Wachter, fils d'Otto von Wachter, gouverneur nazi de Galice, cherche par tous les moyens à réhabiliter son père malgré les preuves irréfutables.

La partie du livre consacrée au procès de Nuremberg m'a particulièrement captivée même si certains passages, notamment le témoignage de Samuel Rajzman, sont difficiles. Je me suis trouvée à applaudir mentalement le procureur en chef américain Robert Jackson, ou le procureur britannique Shawcross ou Maxwell Fyfe.

J'ai une affection pour Raphaël Lemkin qui s'est tellement démené, au détriment de sa santé, pour faire reconnaitre son concept. Il se promenait avec une valise contenant tous les décrets nazis afin d'apporter la preuve du « génocide ». Il a fait un travail titanesque et page 233 du livre, Sands relate toutes les mesures relevées par Lemkin dans dix sept pays occupés afin d'éliminer les juifs, les tsiganes, les handicapés (les homosexuels hélas étaient passés sous silence !).

Toute la lecture de cet ouvrage reste dans un style fluide, vivant, passionnant. Ce livre a été désigné « meilleur livre de l'année 2017 » dans la catégorie « non fiction – livre narratif de l'année » lors des British Book Awards.
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