AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur En quête d'une gnose anarchiste (10)

Le 16 février 1881, Véra Zassoulitch écrivait une lettre à Marx pour qu’il se prononçât sur la question de la commune rurale (appelée mir ou obchtchina). Fallait-il, en se référant au Capital, laisser dépérir cette forme sociale archaïque, selon « la théorie de la nécessité historique pour tous les pays de passer par la phase de la production capitaliste » ? Ou fallait-il considérer, tels Herzen et Tchernychevski, que le mir était le fondement de la société communiste, le moyen pour la Russie de sauter l’étape du capitalisme et de parvenir au socialisme par ses propres voies?
Marx lui répondra, quelques semaines plus tard, le 8 mars, par une lettre assez courte où il précise que les analyses du Capital ne s’appliquant qu’à l’Europe occidentale, on ne peut donc écarter l’idée que la commune rurale puisse jouer un rôle.
(...)
Selon Pier Paolo Poggio, le Karl Marx de la « lettre à Véra Zassoulitch » développe un chapitre des Grundisse : « Formes antérieures à la production capitaliste. »
Contrairement à l’époque moderne, dans toutes les sociétés prémodernes liées à la terre, le but de l’économie n’est pas la production de la richesse en tant que telle mais la conservation et la reproduction de l’individu au sein du rapport spécifique qui le lie à la communauté. Sa lecture de la commune paysanne, rejetée par la grande majorité des marxistes, procède de l’idée d’un potentiel anticapitaliste du mir. Pour le dernier Marx, le vecteur de la révolution sociale se trouvait dans la commune paysanne.
(...)
La compression spatio-temporelle aboutit ainsi au « village planétaire » de McLuhan, expression, devenue cliché, qui signifie que du plus petit point de l’espace (le lieu) au plus grand (la Terre), il n’y a plus de niveaux d’échelles intermédiaires ; et plus encore, que la notion même d’échelle perd toute pertinence face à un espace local mondialisé. La signification du « village » – symbole paradigmatique du lieu, à l’image de la commune villageoise du mir – se retrouve inversée dans l’expression du non-lieu planétaire.
Commenter  J’apprécie          32
Quelle est donc la fonction de la talvera ? Les dictionnaires, semble-t-il, donnent une signification trop négative : « espace qu’on ne peut labourer ». Pourtant, il existe en occitan le verbe talverar qui signifie « travailler les bords d’un champs ». En effet, si la lisière du champ peut être laissée en friche pour servir de chemin entre les parcelles cultivées, il est possible de la travailler d’une autre manière que le champ.
C’est ainsi, qu’aux sillons labourés dans la longueur peuvent s’en substituer d’autres, tracés dans la largeur par le piochage, le bêchage et le sarclage de la terre. On y produit alors des cultures “mineures” : choux, betteraves, pommes de terre, etc.
(...)
L’oubli de la talvera – non seulement du concept mais du mot qui le désigne – doit être mis en perspective avec toutes les dominations élitistes qui privilégient le centre aux dépens de la périphérie. Le concept de talvera prouve la nécessaire hétérogénéité de l’espace social. Il rompt l’uniformisation imposée par la réduction centralisatrice d’un modèle unique.
(...)
Avant la grande mue du capitalisme industriel, le paysan déterminait lui-même le rythme de son travail ; il agissait en homme libre, aussi pauvre qu’il puisse être. Aujourd’hui la cadence agricole de la production intensive a remplacé le rythme donné par la talvera ; et l’agriculteur, dans l’entreprise de son champ, dépossédé de son propre temps humain, subit le même
déracinement que l’ouvrier à l’usine.
Commenter  J’apprécie          20
Nous avons vu que les termes topos et chôra correspondaient respectivement aux notions d’espace et de lieu, mais il y a un autre mot du grec ancien : Metaxu qui signifie “intervalle”. C’est un mot de Platon que Simone Weil a repris pour désigner ces « vrais biens terrestres » qui nourrissent l’âme, et qu’elle définit comme « un milieu humain dont on n’a pas plus conscience que de l’air qu’on respire. »
(...)
Metaxu est ce qui, dans ce monde globalisé, isole, enferme, mais peut ouvrir la voie vers la rencontre de l’autre : la possibilité initiatique d’un passage vers la fraternité humaine, vers la redécouverte de la pensée du commun.
(...)
Le livre perdu d’Héraclite commençait par le fragment où se trouve cette sentence : « Il faut suivre ce qui est commun ». Pour Héraclite, les hommes “éveillés” ont un seul et unique cosmos qui fonde leur communauté. Les “rêvés” se détournent du
cosmos commun car le rêve est singulier et ne peut être partagé.
L’espace-camp interdit aux hommes la pensée du commun et leur impose un rêve que chacun doit consommer solitairement. Les metaxu sont les interstices par lesquels il est possible de s’extraire du rêve imposé par la “Société du spectacle”.
Commenter  J’apprécie          22
Comment sortir du capitalisme ? Après avoir rejeté les propositions du réformisme social-démocrate, de Nietzsche et de Marx – Benjamin envisage avec sympathie le socialisme anarchiste de Gustav Landauer qui vise à s’extraire de l’espace capitaliste par le retrait communautaire : « La communauté à laquelle nous aspirons, nous qui formons un tout cohérent, nous la jeune génération, nous ne la découvrirons que lorsque nous nous séparerons de la vieille communauté. Et c’est lorsque nous nous isolons le plus radicalement, lorsque nous nous enfonçons dans notre moi profond et singulier, qu’en définitive nous découvrons notre essence, cachée dans notre propre cœur, la communauté primordiale et universelle : la communauté avec le genre humain et avec l’univers. »
Commenter  J’apprécie          20
Proudhon démontre que l’ordre social véritable, l’anarchie positive, ne peut pas être imposé par une archè extérieure transcendante à la société humaine. Sur le plan socio- politique, il précise que l’anarchie négative, identifiée au désordre et au chaos, est nécessaire à la légitimation de l’archè. L’anarchie négative, le désordre, est relié à l’autorité par un lien de cause à effet. Le désordre est la justification de l’autorité.
Commenter  J’apprécie          20
La domination de l’opinion régit tout le spectre de la superstructure sociale.
Si l’Inquisition n’a pu parvenir par la contrainte à empêcher la publication des livres interdits, l’opinion exerce une censure bien plus efficace car elle dissuade jusqu’à l’idée d’envisager d’en lire ou d’en écrire.
Commenter  J’apprécie          20
Le camp globalisé est la réalisation finale de l’espace capitalistique, l’espace d’exception analysé par Agamben. Cet espacecamp est l’identification topologique du capitalisme mondialisé, zone d’indistinction indéfinie de la marchandise.
(...)
En hébreu, lieu se dit maqom, de la racine qum qui signifie “se lever, se dresser, se tenir debout”. Un lieu est un point de l’espace où intervient la verticalité.
Chacun d’entre nous occupe un point de l’espace-camp d’où il lui appartient de s’élever pour renaître à l’humain.
Commenter  J’apprécie          10
Tout individu, soumis au pouvoir homogénéisant de la société, doit être capable de conserver sa singularité biologique en pratiquant l’éthique de l’hétérogène qui vise à contrer la dynamique homogène.
Au plan politique, l’éthique hétérogène se développe sous la forme d’une protestation « libertaire » contre l’homogénéisation totalitaire. Selon Lupasco, l’idéologie socialiste est une pensée homogénéisante qui s’insinue dans l’hétérogénéité biologique essentielle des individus. Au contraire, une éthique biologique instinctuelle va favoriser un individualisme outrancier, une recherche anarchique du profit et du plaisir égoïste. Ce sera l’idéologie du libéralisme sauvage où seule importe la réussite individuelle, un capitalisme des diversités exacerbées.
Constamment les deux éthiques homogène et hétérogène s’affrontent en nous, tant au plan personnel que collectif. Une véritable conscience critique ne peut s’exercer qu’en assumant la tension de ces deux dynamiques. La troisième éthique, que
Lupasco appelle « contradictorielle », consistera précisément à vivre cet antagonisme existentiel, individuel et social, de façon créative, de se maintenir dans l’équilibre instable entre deux « ambiances doctrinaires », l’homogène hostile au dissemblable et l’hétérogène allergique au semblable.
Commenter  J’apprécie          10
Sur la paroi de la caverne de Platon se projettent des ombres comme sur un écran. Ce monde de la caverne est le nôtre et la conscience aliénée de l’homme est la pensée de l’écran – la pensée de la littérature. Cependant, dit Platon, celui qui voudrait se retourner vers la lumière ne verrait rien : il s’en détournerait, aveuglé par elle.
Pour voir, il faut se tourner à la fois vers la lumière et vers l’ombre, voir le noir et blanc simultanément.
Ne m’attends pas ce soir car la nuit sera noire et blanche, tels furent les derniers mots qu’écrivit Gérard de Nerval.
Commenter  J’apprécie          10
La complexité progressive de la scène du miracle offre une espèce de décalque de la structure étatique. Elle inclut les instances judiciaires, ecclésiastiques et séculières, garantes de l’ordre social. Le miracle signifie que le sacrement est vrai. Il est vrai, même s’il ne peut être logiquement prouvé. Ainsi, le réel tombe-t-il sous la juridiction d’une instance improuvable : la présence réelle du corps du Christ. L’État chrétien est le gardien du corps mystique et son pouvoir est de droit divin.
Le scénario de l’hostie profanée prouve la validité du sacrement. L’hostie ne peut être profanée que parce qu’elle a été consacrée. Mais ce même scénario démontre que l’hostie est une marchandise sans valeur d’usage, une monnaie que le profanateur échange par un troc contre une marchandise.
Le corps du Christ se découvre monnaie : l’hostie a la forme et la taille d’une pièce de monnaie. Dès le XIIe siècle, elle est confectionnée in forma numi, « en forme de monnaie ». Les moules à monnaie sont les mêmes que les moules à hosties. La monnaie de l’État chrétien est sacrée, c’est ce que signifie très clairement la monnaie d’or créée par Saint Louis, l’agnel. Sous Philippe le Bel l’agnel s’identifie avec l’hostie puisque, à l’image de cette dernière, la pièce est frappée d’une croix sur une face et de l’agneau divin de l’autre.
Commenter  J’apprécie          10


    Acheter ce livre sur
    Fnac
    Amazon
    Decitre
    Cultura
    Rakuten


    Lecteurs (1) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Qui a écrit ça ? [3]

    QUEL ROMANCIER A ECRIT CES PHRASES: « Nous disons bien que l’heure de la mort est incertaine, mais quand nous disons cela, nous nous représentons cette heure comme située dans un espace vague et lointain, nous ne pensons pas qu’elle ait un rapport quelconque avec la journée déjà commencée et puisse signifier que la mort — ou sa première prise de possession partielle de nous, après laquelle elle ne nous lâchera plus — pourra se produire dans cet après-midi même, si peu incertain, cet après-midi où l’emploi de toutes les heures est réglé d’avance » ?

    Marcel Proust
    Virginie Despentes
    Guy de Maupassant
    Louis Aragon

    10 questions
    36 lecteurs ont répondu
    Thèmes : littérature françaiseCréer un quiz sur ce livre

    {* *}