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Critique de beatriceferon


Antoine Comino est un banal garagiste, un amateur de voitures anciennes, bien ancré dans le ronron de sa petite routine. Et voilà qu'un jour, cette bulle protectrice vole en éclats. Deux policiers viennent le chercher. Antoine est terriblement anxieux. Qu'a-t-il bien pu faire ? Il ne se souvient pas avoir commis la plus petite infraction.
Un homme non identifié s'est suicidé en se tirant une balle dans la tête sur le parvis de la mairie. Sa voiture est garée tout près. Une voiture qu'il a récemment achetée chez Antoine.
J'ai entendu deux critiques très enthousiastes à propos de ce roman, dont celle de Nicole Debarre, à qui je fais confiance, en général.
J'ai lu le premier ouvrage de Giuseppe Santoliquido, « L'audition du Dr Fernando Gaspari » que je n'ai pas trop aimé. Celui-ci me paraît très différent.
Un seul personnage principal, qui n'a rien de particulier. Un banal Monsieur Toutlemonde. Une ville dont nous ne savons presque rien. Pourquoi pas Bruxelles, puisque l'auteur est belge ?
Ce pourrait être un roman policier, puisqu'il y a une enquête. Détrompez-vous. Ce n'est pas du tout le cas. Giuseppe Santoliquido va balader son personnage désabusé dans une cité grise, peu hospitalière. Pourtant, c'est l'été. Or, Antoine déambule sans fin dans des endroits peu sympathiques, pour ne pas dire louches. Il n'est pas rassuré. Il s'attend à tout moment à être attaqué, dépouillé, assassiné, peut-être. Il croise des travailleurs illégaux, des négriers, des loueurs de galetas qui profitent de la misère humaine, des SDF. Une femme a les cheveux « rasés très près du crâne à la façon d'un militaire et une barrette ponctuée de deux anneaux lui traverse l'arcade de bas en haut, comme une épingle, juste au-dessus de l'oeil ».  Des entrepreneurs véreux « ont l'air capables de tout, (…) y compris de le torturer en pratiquant Dieu sait quel supplice. » A l'entrée d'une église, « une masse brunâtre qu'il avait prise pour un tas de haillons abandonnés se met à remuer ». C'est un clochard qui lui réclame son paquet de cigarettes et lui tient des propos délirants. A la pension du « Lyonnais », « le tenancier est un petit homme rond à la peau grumelée, une fine mèche de cheveux lui traverse le crâne pour former une anse grise et poisseuse avec ses favoris. A ses pieds, recroquevillé sur une carpette, sommeille un vieux chien dont le pelage ressemble à un plan d'herbe calcinée. » Ici, un homme lui fait boire une infâme piquette, dont lui-même écluse plusieurs litres, là, un travailleur libanais lui parle de fantômes, un SDF évoque les « flux cosmiques de [ses] semblables » qu'il détecte grâce aux capteurs dont son corps est couvert. Une faune étrange et inquiétante, donc, tout autant que les lieux : « un hall aux parois ornées d'appliques et de miroirs sans cadre. Il lui faut ensuite descendre une dizaine de marches étroites, d'une blancheur rendue aveuglante par le reflet brutal des néons ». « Une barrière surmontée de tessons de bouteilles. le chiffre cinquante y a été gribouillé à la peinture blanche. Avec ses façades trouées et ses vieilles carcasses de ciment, le coin est invraisemblable, d'une laideur grotesque : les entrailles de la ville exposées à ciel ouvert. » «  Une chambre minuscule, le mobilier est douteux, sordide, usé jusqu'à la corde, les ronds de poussière sur le linoléum rappellent les nombreux défilés de talons aiguilles. Et puis il y a ces grognements de plaisir gras qui lui parviennent depuis la chambre voisine. »
Qui donc aurait envie de traverser de tels endroits ? de croiser de telles personnes ? Pourquoi Antoine le fait-il ? Parce qu'il lui est insupportable de penser qu'un homme s'est tué de façon violente, sans qu'on sache pourquoi . Sans qu'on sache qui il est. Parce que les autorités vont arrêter les recherches et que l'inconnu sera enterré dans le coin des indigents, sans que personne s'en soucie. Peut-être a-t-il une famille quelque part, qui ne saura jamais ce qui lui est arrivé. Peut-être a-t-il dû quitter son pays et accepter un travail ingrat pour survivre, tout comme a dû le faire le père d'Antoine.
Antoine n'a pas détourné le regard, il n'a pas pensé à autre chose, en se disant que, de toute façon, il ne pouvait rien faire. On lui a dit : « Toi (…) tu l'as entendu pleurer, le monde, et c'est ce qui fait de toi, désormais un être différent ».
En déambulant dans ces lieux glauques, en croisant ces êtres inquiétants, Antoine est peut-être à la quête de lui-même. Il va, malgré tout, rencontrer quelques personnes qui lui tendront la main : une prostituée, un prêtre, une bénévole de resto du coeur. Il va ensuite voir sa petite vie autrement.
Giuseppe Santoliquido nous fait réfléchir à propos des migrants, de la solitude, de l'identité, de l'égoïsme et il nous donne une leçon de philosophie.
Son roman m'a rappelé, par certains aspects, « Rue des Boutiques obscures » de Patrick Modiano et je l'ai bien aimé.
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