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Critique de Antyryia



Elle s'appelait Grisella. Je l'aimais comme un homme et son chien peuvent s'adorer, sans aucune logique, avec une complicité unique en son genre.
C'était un berger Shetland doux, joueur, magnifique, craintif, fidèle.
Grisella n'a jamais vieilli, elle ressemblait toujours à dix ans à un petit colley en bas âge. La question de sa mortalité ne se posait quasiment pas, d'autant que c'était une survivante.
Opérée d'une tumeur maligne, elle a déjoué les pronostics ne lui accordant au mieux que deux ans de sursis.
Mais l'anecdote que je préfère raconter remonte à l'une de ses toutes premières promenades. Ça ne faisait qu'une semaine qu'elle nous avait rejoint après être restée un an chez l'éleveur. En croisant des chasseurs et leurs molosses en forêt, elle a eu si peur qu'elle a réussi à s'extirper de sa laisse pour détaler plus vite que Bip-bip. Les jours puis les semaines vont passer, on commence à baisser les bras avec pour seule interrogation "Que lui est-il arrivé ?"
Elle ne nous le racontera jamais, mais elle a été retrouvée cinq semaines plus tard, en pleine forme quoique amaigrie, allongée dans la paille d'une grange située à plusieurs kilomètres.

Elle n'avait pas tout à fait douze ans quand elle est partie, le 03 avril de cette année. Quasiment du jour au lendemain. Estomac perforé apparemment, ou autre mystère. J'avais rarement été aussi affecté par une disparition.
"C'est juste un chien" m'a-t-on dit quand la peine était toujours palpable vingt jours plus tard. Est-il nécessaire de classer ses proches en fonction de leur statut, de leur nature ? Notre société semble nous accorder le droit de souffrir bien plus longtemps pour un ami ou un parent. Parce que le chien est soit-disant remplaçable ou parce que nous étions les seuls à lui accorder réellement une quelconque valeur.
Désormais le plus dur est passé mais la nostalgie n'est pas encore de mise et l'absence demeure cruelle. Toutes ces fois où pendant un instant, on pense qu'on va l'apercevoir ou l'entendre. Ces heures où il faut la nourrir, la promener, la sortir avant la nuit. Et aussitôt être rattrapé par la triste réalité.
"Il y aura ces rites disparus et qui, les uns sur les autres, édifiaient notre vie."

Considéré trop sensible pour si peu, j'ai vite du intérioriser mon chagrin. Pas ma colère.
Quand j'ai entendu parler de ce roman, j'ai espéré lire quelqu'un qui m'aurait compris, mettant des mots sur ce que je ressentais. Et ça a bien été le cas.
En racontant son lien unique avec son bouvier bernois Ubac - alors que 2023 est une nouvelle année canine pour les U - j'ai pu constater que ma réaction n'avait rien de disproportionnée comparé à celle de Cédric Sapin-Defour, que mes pensées pouvaient être partagées. Hommes, animaux, chaque relation aura beau se ressembler, elle n'en demeurera pas moins unique.
Ubac ou Grisella ont mis en nous toute leur confiance, ils nous ont permis de nous sentir utiles, aimés sans condition. Qui que l'on soit le chien ne juge pas. le regretter quand il meurt est la moindre des réactions.

Autobiographie parsemée de nombreuses réflexions, Son odeur après la pluie m'aura permis de me retrouver parfois mot pour mot, et surtout de retrouver les habitudes que nous avions avec Grisella. Sa façon d'aboyer comme une damnée quand le téléphone sonnait ou que quelqu'un sonnait à la porte, sa façon de réclamer des promenades à heures fixes chaque jour, quel que soit le temps, ou de mendier la moindre miette de nourriture alors qu'il était rarissime qu'elle ait gain de cause.
J'ai apprécié aussi les réflexions de l'auteur autour de de tout ce qu'on pensait savoir du chien, alors que personne n'en n'avait été un pour vérifier. Bon, penser que le chien pouvait avoir conscience de sa mort à venir parce que d'autres animaux se déplaçaient bien pour mourir n'était pas adroit ( l'imagerie populaire du cimetière d'éléphants a été mise à mal depuis longtemps ), mais si comme on le prétend le chien n'a aucune notion du temps, comment expliquer qu'il ait une horloge interne aussi mystérieusement précise ? Un chien sait indubitablement se repérer dans une journée, il sait quand c'est l'heure de manger, l'heure de sortir, le moment où son maître va revenir. Il comprend deux minutes avant la fin du film que celui-ci va se terminer et avec lui vient le moment de gratter à la porte pour faire le dernier pipi du jour dans le jardin.

En revanche je n'ai pas ressenti d'autre affinité avec l'auteur que son précieux lien avec Ubac. Je n'ai pas eu d'empathie pour Cédric Sapin-Defour auquel je n'ai pas pu m'identifier malgré nos points communs évidents. Disons-le, il m'a beaucoup agacé par moments. Je vais garder un souvenir très nombriliste de ce journaliste plus apte à médire sur ses contemporains qu'à se remettre parfois en cause. Quand on vit en montagne, en retrait de la société, c'est facile d'avoir la langue bien pendue et le jugement hâtif sur son prochain.
L'auteur est toujours d'une morale bien pensante et beaucoup trop politiquement correcte, il déborde souvent du cadre qu'il aurait du fixer dans un témoignage de vie et d'amour, dans un livre hommage à son son bouvier bernois. La puissance du lien entre l'homme et sa bête ne fait aucun doute, juger de la façon dont il convient d'élever et éduquer son chien ça ne passe pas, surtout venant de quelqu'un qui s'est orienté vers une bête de 50 kilos adulte tout en vivant en appartement. Personnellement, je suis convaincu qu'il y a un minimum d'éducation à donner à son chien et que l'instinct ne fera pas tout. Ou que leur donner un nom n'a rien à voir avec une appropriation.
"Donner un nom, n'est-ce pas la première des emprises ?"
Si identifier et accueillir est un acte de manipulation il faut que les parents déclarant les naissances de leurs enfants en mairie se remettent en cause.
Et en parlant d'enfants, j'ai à plusieurs reprises ressenti une forme de mépris pour ces derniers : Une préférence assumée pour les animaux certes mais son plaidoyer demandant d'accepter aussi une compréhension qu'on soit en deuil quand on perd un compagnon, un complice de tous les jours, fusse-t-il à quatre pattes, prend complètement l'eau quand il le compare à la perte d'un enfant.
- Coucou Anty. Hier il est arrivé quelques chose de très grave : Mon fils a été renversé par un poids-lourd sur l'autoroute. Il n'a pas survécu.
- Hello Bérénice. Je suis vraiment désolé mais ça n'est quand même pas si grave. Grisella s'est éteinte il y a cinq mois et c'est autrement plus important. C'est une plaie purulente qui jamais ne se refermera.
Si j'aimerais que les douleurs ne soient pas toujours comparées, que l'affect de quelqu'un soit davantage pris en compte avant de s'autoriser à penser ou dire quoi que ce soit, il y a tout de même des parallèles qui ne se font pas.

Pour parfaire le tout, la personnalité de l'auteur s'est aussi manifestée dans son écriture. Je l'ai trouvée extrêmement pompeuse et parfois alambiquée. Comme si pour être plus littéraire, un livre ne devait plus être accessible qu'à une élite. Les mots inconnus sont trop bien trop nombreux pour vérifier la signification de chacun ( emphythéotique, empour, struklji ... ) et les phrases ont parfois été torturées pour que leur sens, pourtant parfois théâtre de réflexions intéressantes, soit d'abord caché.
"Il n'y a rien, joyeuse ou embarrassante, qui vous date avec autant de précision que la nostalgie et, sans s'annoncer, il arrive qu'elle surgisse au plus inattendu des moments."
"L'âge et son compère l'expérience ne charrient pas que leurs régressions."
"La gentillesse, raillée de toute part, réclame beaucoup plus d'épaisseur que l'éréthisme maussade."

De nombreux lecteurs ont beaucoup apprécié Son odeur après la pluie et ont été sensibles d'un bout à l'autre à cette histoire d'amour inconditionnel, sincère et bouleversante entre Cédric Sapin-Defour et son berger Ubac. Moi-même j'ai souri parfois tant je me reconnaissais dans cette complicité unique, et tant il y avait de points communs dans les façons d'être de nos chiens respectifs.
Et s'il y a plusieurs avis que j'ai partagés, je pense cependant que le rôle d'un tel essai autobiographique, au-delà de se remémorer et de restituer des souvenirs magiques, est de faire réfléchir et sûrement pas d'imposer son point de vue et de condamner sans appel les lecteurs qui auraient un avis différent, ou qui ont parfois privilégié une autre approche dans leur relation avec leur animal. Il y a autant de chiens que de solutions plus opportunes, qui pourront toujours s'opposer les unes aux autres.
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