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Critique de mh17


L'Aveuglement (1995) est un grand livre, le genre qu'on n'oublie pas. José Saramago (1922-2010) est d'abord un conteur hors-pair. Il part d'une situation banale, des voitures qui attendent au feu rouge, vous présente un petit nombre de personnages ordinaires et les plonge peu à peu dans un monde terrible, apocalyptique. Sa phrase est sinueuse, labyrinthique, avec beaucoup de rythme. Et puis sa voix vous guide au milieu de celle des personnages avec sa petite lampe à huile quand vous êtes perdu dans l'allégorie, ou que vous êtes trop éprouvé par la cruauté des hommes. Il digresse volontiers avec une explication en aparté, un proverbe ou bien un dicton qui vous arrache un sourire tout en créant une connivence rassurante.

Un automobiliste arrêté devant un feu de circulation se trouve soudainement plongé dans une blancheur aveuglante. C'est le premier aveugle. Un homme serviable le ramène chez lui. Il lui volera sa voiture. L'automobiliste et sa femme se rendent chez l'ophtalmologiste. Dans la salle d'attente, un petit qui louche, un vieillard portant un bandeau, une jeune femme aux lunettes teintées. L'ophtalmologiste qui l'examine consciencieusement ne peut rien pour l'automobiliste. le soir en plein désarroi le médecin se confie à sa femme dévouée. le lendemain il est aveugle. Suivront la fille aux lunettes teintées en plein travail, le petit garçon louchon etc. La femme du médecin est la seule qui continue de voir. Elle décidera de simuler la cécité pour demeurer avec son mari. Les autorités sanitaires prévenues par le médecin placent le groupe en quarantaine dans le dortoir insalubre d'un ancien hôpital psychiatrique désaffecté.
Livrés à eux-mêmes, avec pour seul lien avec le monde extérieur, la voix mécanique d'un fonctionnaire qui leur donne des ordres à travers un micro, ils s'organisent tant bien que mal. Mais bientôt arrivent d'autres aveugles de plus en plus nombreux, de plus en plus affamés, de plus en plus sales. Les aveugles sont alors plongés dans la plus répugnante des promiscuités. Les gardiens apeurés reçoivent l'ordre de tirer à vue en cas de tentative d'évasion. Une horde de scélérats confisque la nourriture et réclame des femelles en échange de rations. Dans le groupe que nous suivons, la femme qui voit guide les autres…
Les personnages n'ont pas de nom, ils sont désignés par leur fonction ou par un détail physique qui les rendent proches et universels. Sans repères et sans regard sur eux-mêmes, les âmes sont nues et les corps sans pudeur. Chaque homme révèle sa vérité individuelle : impuissance, bassesse, lâcheté, cruauté mais aussi courage, sens du sacrifice. Les besoins primaires prennent le dessus sur tous les beaux discours. La peur paralyse le système démocratique et engendre la violence aveugle des soldats. A l'intérieur du groupe, l 'individualisme ne mène à rien face au chaos, à la violence. Mais comment s'organiser ? Comment se défendre ? La femme qui simule la cécité est plus lucide et clairvoyante que les autres mais souffre de voir l'horreur. Il est plus facile de se voiler la face et de détourner la tête. Son mari, le médecin dira à la fin du livre : « Je pense que nous ne sommes pas devenus aveugles, je pense que nous étions aveugles. Des aveugles qui voient. Des aveugles qui, voyant, ne voient pas. »

Merci Chrystèle !
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