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Critique de indimoon


Voilà un scénario digne des gros blocksbusters américains, friands d'épidémies aussi subites qu'apocalyptiques: le livre s'ouvre sans prémices sur le cas zéro d'un malade, l'une des, ou la première victime d'une cécité visuelle générale, aussi subite que l'est l'incipit du roman, nous mettant directement au coeur de l'action. Tel le caillou qui roule à flanc de falaise et provoque l'avalanche, nous assistons à celle de ce "mal blanc", car les aveugles n'ont pas sensation d'être face aux ténèbres mais plutôt à une blancheur immaculée, qui enfle de façon incompréhensible et à grande vitesse, touchant quelques heures plus tard le docteur qui a ausculté ce "premier aveugle", tous les patients présents dans la salle d'attente, ainsi que celui qui en a profité pour lui voler sa voiture.
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Voilà un scénario digne des gros blockbusters américains, qui se regardent nerveusement avec le paquet XL de pop corn, d'ailleurs le film tiré du livre existe. Mais avec la langue de Saramago, nous sommes dans une dimension toute autre.
Je découvre cet auteur portugais, j'ai été particulièrement sensible à sa plume. Une véritable démonstration stylistique, faite de longues phrases, mêlant dialogues sans les ponctuations de rigueur (tirets, guillemets, retour à la ligne) et réflexions philosophiques, éthiques, diverses et variées, souvent surprenantes bien que toujours à propos, issues de l'esprit fort sarcastique et rigoureux de l'auteur. Ainsi, je saisis dès le départ de ses développements vers quelle conclusion il veut me mener par une certaine rigueur, et je reste admirative du chemin pris par le talent des mots pour y parvenir. Je relis certaines de ses phrases plusieurs fois, je savoure. L'on se dit de suite que le scénario catastrophe n'est pas le but ultime à nous conter cette histoire, qu'il n'est même peut-être qu'un effet cachant la profondeur allégorique de ses propos.
Alors que l'on a plutôt tendance de nos jours à saluer des plumes "alertes et fluides", celle de Saramago m'a semblé un peu "old school" par rapport à celles-ci. Mais ce n'est pas un défaut, car les phrases de cet auteur ne manquent pas pour autant de rythme ou d'être percutantes, bien au contraire, mais elles sont appliquées, c'est une lecture qui se déguste, qui demande de prendre son temps, des qualités qui sont peut-être moins louées de nos jours, jours où rapidité-efficacité sont de maîtres mots.
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J'ai adoré que cette plume d'orfèvre contraste avec un thème en apparence plutôt grand spectacle.
En apparence seulement car après les dernières pages il paraît clair que cet aveuglement est loin de ne faire référence à qu'à une subite cécité visuelle, il s'agit d'une fable satirique, sur ce que nous sommes, êtres humains dans la dérive organisée de la collectivité. "Il y a en chacun de nous une chose qui n'a pas de nom, et cette chose est ce que nous sommes." (p 257, éditions du Seuil) autant dire que nous sommes au travers de cet aveuglement projettés dans l'inconnu de "cette chose qui n'a pas de nom" handicapés car loin de tout repère, de tout ce que l'on nous a appris à prendre pour comptant, nos désirs, nos besoins, jusqu'à nos pensées.
Les personnages attisent cet effet de fable satirique car nous n'entrons pas réellement dans leurs pensées, nous restons extérieurs à eux, ils demeurent uniquement désignés par les premiers qualitatifs qui nous les présentent: "le premier aveugle", "le médecin", ou "le garçonnet louchon", et il en va de même pour les animaux avec le touchant "chien des larmes". L'auteur nous prend parfois à part, comme si nous visionnions ensemble une histoire "nous avons vu que..." ou "nous connaissons déjà...". L'humour caustique est bien présent, je me suis fendue d'un sourire, voire d'un rire à quelques reprises (avant que la tournure des évènements ne devienne vraiment trop noire).
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Certes, la plume talentueuse à la tournure un brin "old school" d'un auteur né en 1922, âgé de 73 ans quand il a écrit ce livre, m'a totalement convaincue sur la forme, j'ai un peu tiqué, de temps à autre, de part les idées un tantinet d'un autre temps qu'elles véhiculent. Telles des considérations sur certains personnages, la fille aux lunettes teintées, par exemple, qui a des moeurs légères et couche avec qui et quand bon lui semble, et parfois contre rétribution, dans des hôtels, et que l'on doit s'étonner de voir, tout de même, porter un amour sincère à ses parents. Je fus portée à chercher le rapport, né sans doute dans un esprit tout de même un peu mysogine, ou tout simplement, de son temps.
D'autre part, comme je cherche là "la petite bête", j'ai trouvé dans le développement du "scénario catastrophe" que l'on passait un peu vite à la case "internement des malades" avec des restrictions radicales dictées au haut parleur du vieil asile désaffecté dans lequel se retrouvent enfermés nos pauvres protagonistes. Comme si dans l'avalanche on passait direct du caillou qui roule à l'ensevelissement de la ville sans passer par une boule de neige de taille alarmante.
Mais ce sont de petits chichis. C'est une lecture tragi-comique, philosophique et scatologique (et oui, les excréments, une sacrée affaire), les deux parfois, une bulle puante et lumineuse à fois, dont j'ai adoré les contrastes et la plume acerbe.

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