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Critique de luckless


Trafic , l'art du contrepoint

Si le nouveau roman de Galien Sarde retrace la trajectoire d'une relation amoureuse, celle entre Vincent et Manon, depuis sa naissance jusqu'à sa fin, il le fait d'une manière non-linéaire, sinueuse, en alternant deux récits, deux temporalités, empruntant sa manière à celle, musicale, du contrepoint.
Ces alternances dans la narration, déjà présentes lors de son précédent opus, Echec, et mat, assurent une fois encore tension et nervosité dans la matière narrative, le lecteur suivant deux lignes directrices, situées géographiquement d'une part entre Paris et La Nouvelle Orléans, d'autre part sur une autoroute et à Monaco. Mais ces deux lignes ne cessent de se répondre, et l'accident autoroutier provoque comme une stase dans l'enchainement des évènements, et fournit donc un contrepoint à cette forme de fuite en avant que représente la relation amoureuse entre Vincent et Marion.
C'est suite à la rencontre avec Manon, personnage captivant mais entourée de mystère, que la vie de Vincent, dont le point de vue organise le récit, s'emballe, change définitivement de trajectoire. Un grande partie du sel de Trafic réside dans cet halo de mystère autour de Manon, qui aiguise le désir de Vincent, l'obsède au point de lui faire prendre des risques inconsidérés. Ce parfum d'étrangeté ne semble plus se départir de Manon depuis son séjour à La Nouvelle Orléans et son rôle dans un film : « Deux semaines et demie plus tôt, elle était allée au bout d'un rôle dans un film aux Etats-Unis, rôle dont son corps vibrait encore quand ses yeux croisèrent ceux de Vincent, sur un balcon , de nuit. »

Le film, machine à fantasme

L'intérêt de l'irruption de ce film dans la trame narrative est la potentialité subversive, n'hésitons pas à le dire, dont il est chargé : les repères de Vincent vont en être durablement bouleversés, ainsi que, dans un sens premier, l'écriture. C'est par le film, à travers lui que le roman se constitue, se densifie, devient autre chose qu'une belle histoire d'amour avec un début et une fin. Y trouve un souffle dans ses phrases rappelant par moments celui de Jean-Philippe Toussaint, à mes yeux un grand compliment. Trafic puise dans cette matrice cinématographique, s'y nourrit, ce qui lui donne par instants des allures de roman noir. Manon, par exemple, doit remplacer l'actrice du film, « dont le visage bandé respirait au bloc de réanimation ». Il y a donc eu le film, puis tout ce qui s'y est joué autour : un jeu de masques tout aussi bien devant que derrière la caméra.
Vincent est un être en quête d'absolu, mais aussi de tranquillité dans sa vie, de « sphères qui échappent sans réserve à la mesure du quotidien ».
Le jeu de masques devient vite un jeu de dupes à ses yeux, et il cherche à s'en défaire, tout comme il a cherché – et réussi- à se défaire d'un métier vide de sens : « En désespoir de cause, Vincent souhaita ne s'être jamais rien rappelé, revenir à un stade antérieur. Puis il voulut parler à Manon du film, dont il continuait de s'éloigner. Néanmoins pour des raisons similaires à celles qui l'avaient fait l'éviter pour avoir une copie, il s'abstint finalement. »

Un paquet de nerfs

Trafic vaut aussi pour les ambiances qu'il décrit, mais aussi et surtout pour la gamme des états émotionnels ( torpeur, stupeur, passion, joie, peur, désir, extase, angoisse, jalousie , bien sûr, et la fatigue, très présente) qu'il fait parcourir à ses protagonistes. D'ailleurs, les deux vont ensemble, tant les événements et les lieux semblent peser sur les organismes. Il faut dire que le roman est nimbé de soleil, d'une chaleur tantôt libératrice, tantôt étouffante. Ses effets sur les nerfs, combinés avec le « bruit de fond » de la vie évoqué à plusieurs endroits, sont décrits avec un talent d'observation, mais aussi de compassion : la passion de Vincent, chacun peut s'y identifier, hypocrite lecteur – mon semblable, mon frère !
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