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Critique de djathi


Tout en vaquant à ma célébration du quotidien , plumeau en mains , la radio en sourdine pour unique compagne ,la ménagère quinqua que je suis s'arrête quelques secondes , happée par quelques paroles réveillant en moi une fibre plus intérieure : le coeur presque en chamade , je bâcle cette célébration transformée à l'instantanée en corvée triviale et absurde me détournant de l'essence de la vie . Fébrilement une recherche rapide sur Dieu internet me permet de mettre un nom à cet intervenant si percutant , illustre inconnu pour moi ...il s'agit d'un jeune écrivain Mohamed Mbouar Sarr . Derechef , séduite par l'acuité de son regard alors qu'il s'exprime sur le sens de la littérature , je m'empresse d'acheter son ouvrage récemment paru et en lice pour le prix GONCOURT paraît-il, balançant allègrement mes principes de réserve concernant l'actualité littéraire .
Dès les premières pages ,j'ai la conviction que mon intuition de départ me réserve un grand moment de jouissance intellectuelle .Et je me me laisse embarquer avec le narrateur écrivain , l'alter-ego de Mohamed Mbouar Sarr, à la recherche non pas du temps perdu , mais d'un livre paru en 1938 et mystérieusement disparu ainsi que son auteur, après que celui-ci fut mis au ban de l'intelligentsia de l'époque accusé de plagiaire éhonté .
Une enquête donc policière presque avec un schéma narratif en accord avec le genre , dont je n'ai pas forcément d'appétence . Mais on comprend très rapidement qu'il ne s'agit là que d'un fil d'Ariane ludique à travers lequel l'auteur , en remontant le temps et multipliant les temporalités , souhaite bousculer son lecteur , le sortir de sa zone de confort pour explorer le très-fond de celui-ci dans son adhérence avec la littérature .Alors , fidèle à mon habitude , je ne vous résumerai pas l'histoire qui importe peu , vous l'aurez compris et puis je trahirais la pensée de l'auteur :
" Je vais te donner un conseil : n'essaie jamais de dire de quoi parle un grand livre . Ou , si tu le fais , voici la seule réponse possible : rien .Un grand livre ne parle que de rien , et pourtant, tout y est. Ne retombe plus dans le piège de vouloir dire de quoi parle un livre dont tu sens qu'il est grand. Ce piège est celui que l'opinion te tend. Les gens veulent qu'un livre parle nécessairement de quelque chose. Un grand livre n'a pas de sujet et ne parle de rien, il cherche seulement à dire ou à découvrir quelque chose, mais ce seulement est déjà tout, et ce quelque chose qui est déjà tout. "
Mohamed Mbougar Sarr déploie audacieusement une palette d'outils très éclectiques empruntés à la tradition littéraire qu'il tricote habilement pour garder une forme cohérente et maîtrisée au service d'une réflexion aux multiples ramifications sur des sujets qui nourrissent les grands débats intellectuels depuis la nuit des temps .
Alors oui , laissons nous emporter par la prose de ce jeune écrivain ,en navigation spatio-temporelle déconstruite ,multipliant les mises en abîme vertigineuses , perdons nos repères de lecteurs du XXI ième siècle sécurisés par les hashtags et les classifications ...
En jouant avec la forme, alternant allègrement et dans un mouvement musical rapide et entraînant, l'écrivain n'a de cesse de déstabiliser le lecteur : du réalisme magique il en sera ( et on "copinera "avec Ernesto Sabato et d'autres ), de longues phrases Proustiennes faisant mouche aussi, basculant vers un semblant de fantastique , en appelant à la tradition orale africaine avec une pointe de magie ensorceleuse mais aussi aux grands romantiques avec quelques belles envolées de lyrisme d'un grand classicisme !
Mais loin d'être un pur exercice de style brillant et novateur , Mohamed MbougarSarr interpelle son lecteur sur des thèmes certes intemporels mais particulièrement brûlant d'actualité : L'identité et la littérature ( On pense évidemment à ce mouvement woke effrayant qui alimente les débats sur la toile ou dans les salons mondains , divise les intellectuels ...phénomène de mode ou pas , l'histoire nous le dira )...
La place de l'écrivain comme un simple maillon unique et irremplaçable dans l'histoire de la littérature ,héritier de ses pères et géniteur potentiel pour la postérité ( révision de la notion de "plagiat") .
L'écrivain "nègre" appréhendé comme pure forme d'exotisme à l'époque du colonialisme ...
Il serait vain et sans intérêt d'établir une liste de chaque interrogation que suscite cet ouvrage roboratif et galvanisant .
A condition de te délester de tout bagage culturel codifié , normalisé , étiqueté , prêt à embrasser un univers déployé dans toutes les ouvertures possibles , ami lecteur joueur , tu seras conquis .
Prix Goncourt assurément mérité mais qui risque hélas de ne pas trouver son lectorat , celui-ci plus enclin à dévorer des nourritures prédigérés de calories vides assouvissant le seul plaisir facile de l'instant .
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