Ils écrivent sur la disparition pour imaginer de meilleurs lendemains. Annabelle Perrin, coordinatrice du livre "Tout doit disparaître", et Mohamed Mbougar Sarr, prix Goncourt 2021, qui y a contribué, sont nos invités.
#culture #disparition #litterature
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Rien n'attriste un homme comme ses souvenirs, même quand ils sont heureux.
- Voilà ton erreur. Voilà l'erreur de tous les types comme toi. Vous croyez que la littérature corrige la vie. Ou la complète. Ou la remplace. C'est faux. Les écrivains, et j'en ai connu beaucoup, ont toujours été parmi les plus médiocres amants qu’il m'ait été donné de rencontrer. Tu sais pourquoi ? Quand ils font l’amour, ils pensent déjà à la scène que cette expérience deviendra. Chacune de leurs caresses est gâchée par ce que leur imagination en fait ou en fera, chacun de leurs coups de reins, affaibli par une phrase. Lorsque je leur parle pendant l'amour, J'entends presque leurs « murmura-t-elle ».
La vie n'est rien d'autre que le trait d'union du mot peut-être. Je tente de marcher sur ce mince tiret. Tant pis s'il cède sous mon poids : je verrai alors ce qui vit ou est crevé en dessous.
Le passé a du temps ; il attend toujours avec patience au carrefour de l’avenir ; et c’est là qu’il ouvre à l’homme qui pensait s’en être évadé sa vraie prison à cinq cellules : l’immortalité des disparus, la permanence de l’oublié, le destin d’être coupable, la compagnie de la solitude, la malédiction salutaire de l’amour.
(page 451)

Alors qu'il en arrivait à sa conclusion, Chérif coupa le son du téléviseur. Pendant quelques minutes, nous regardâmes le président parler sur l'écran, sans entendre ses mots. Ses lèvres s'ouvraient et se refermaient sur le silence. Il mastiquait le vide avec force.
- C'est exactement ce que vit le pays, constata Chérif. Nos dirigeants nous parlent de derrière un écran, une vitre qu aucun son ne traverse. Personne ne les entend. Ça ne changerait rien si on les entendait. On n'en a plus besoin pour savoir qu'ils ne disent pas la vérité. Le monde derrière la vitre est un aquarium. Nos dirigeants, par conséquent, ne sont pas des hommes mais des poissons : des mérous, des cabillauds, des silures, des espadons, des brochets, des morues, des soles et des poissons-clowns. Et beaucoup de requins, bien sûr. Mais le pire, quand on regarde leurs visages de poissons, c'est qu'ils semblent nous dire : à notre place, vous ne feriez pas mieux. Vous décevriez comme nous décevons.

(…) au fond de lui, même si les apparences suggèrent toujours l’inverse, même si c'est vers l'inconnu que le porte le mouvement de son existence, aucun homme ne pense au futur.
Notre préoccupation profonde concerne le passé; et tout en allant vers l'avenir, vers ce qu'on devient, c'est du passé, du mystère de ce qu’on fut, qu’on se soucie. Cela n’a rien à voir avec une nostalgie funèbre. C'est simplement qu'entre ces deux questions qui cachent une angoisse de la même nature: que vais-je faire ? et quai je fait ? c'est cette dernière qui est la plus grave: elle ferme toute possibilité d'une correction, d'une nouvelle chance.
Dans quai-je fait ? sonne aussi le glas du c’est fait pour l'étemité. Cest la question de l’honnête homme qui commet un crime dans un accès de fureur, et qui, après l'acte, redevenu lucide, se tient la tête : quai-je fait ? Cet homme sait ce qu'il a fait. Mais son angoisse, son horreur viennent surtout de ce qu'il sait aussi qu’il ne peut défaire, réparer ce au'il a fait.
C'est parce qu il lui donne la conscience tragique de l’indéfectible, de l’irréparable, que le passé est ce qui inquiète le plus l'homme. La peur de demain porte toujours, même infime, même quand on sait qu'il peut être déçu et le sera probablement, l’espoir des possibles, du faisable, de l'ouvert, du miracle.
Celle du passé ne porte rien que le poids de sa propre inquiétude. Et même le remords ou les repentirs ne suffisent pas à modifier le caractère irrévocable du passé; bien au contraire : ils le confirment même dans son éternité. On ne regrette pas seulement ce qui a été ; on regrette aussi et surtout ce qui sera à jamais.
Le hasard n’est qu’un destin qu’on ignore, un destin écrit à l’encre invisible.
Mon noble père croyait encore au fair-play et à l’amitié devant le pouvoir.
p.41
Les écrivains, et j’en ai connu beaucoup, ont toujours été parmi les plus médiocres amants qu’il m’ait été donné de rencontrer. Tu sais pourquoi ? Quand ils font l’amour, ils pensent déjà à la scène que cette expérience deviendra. Chacune de leurs caresses est gâchée par ce que leur imagination en fait ou en fera, chacun de leurs coups de reins, affaibli par une phrase.
D'un écrivain et de son œuvre, on peut au moins savoir ceci : l'un et l'autre marchent ensemble dans le labyrinthe le plus parfait qu'on puisse imaginer, une longue route circulaire, où leur destination se confond avec leur origine : la solitude.
(incipit)