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Critique de Andromeda06


"La plus secrète mémoire des hommes" est un livre que j'ai vu de nombreuses fois passer parmi les retours des Babelpotes, retours aussi bien négatifs que grandiloquents. Comme les Goncourt et moi, ça fait souvent deux (voire même trois ou quatre...), je n'étais pas tellement pressée, ni motivée à le découvrir par moi-même. C'est encore une fois ma bibliothécaire qui m'a poussée à le prendre, à mettre de côté mes réticences. Et j'ai finalement bien fait : malgré un début cahoteux, je ne regrette pas du tout car j'ai finalement beaucoup aimé.

Diégane Latyr Faye est un jeune écrivain d'origine sénégalaise, que son premier et seul roman a peut-on dire fait un flop. le destin lui met entre les mains "Le labyrinthe de l'inhumain", manuscrit d'un certain T.C. Elimane publié en 1938. À peine sorti, ce livre a fait beaucoup parler avant de disparaître complètement de tous les rayons littéraires, son auteur déjà peu démonstratif à l'époque ayant lui aussi disparu des radars. Aujourd'hui, malgré ses recherches, Diégane ne parvient pas à retrouver la trace de cet auteur. Une piste s'offre à lui, il ne manque pas de la saisir. Débute alors son enquête...

Pour un livre complexe, c'est un livre complexe, au point que je ne sais comment commencer ce billet. Car ce roman est bien plus qu'une enquête, c'est aussi une quête Du Livre essentiel, celui qui donne un sens à sa vie d'écrivain, celui pour lequel on donne tout, celui que le lectorat ne peut oublier, celui qui fait sa renommée. Tel "Le labyrinthe de l'inhumain" de T.C. Elimane, Diégane part à la recherche du sien, en même temps qu'il veut absolument retrouver ce "Rimbaud nègre" qui a tant fait polémiquer.

Plongés en plein coeur du monde littéraire, de la francophonie africaine essentiellement, Diégane n'hésite pas pour autant à nous balader aux quatre coins du monde, les pistes le menant à Amsterdam ou en Argentine avant d'atteindre sa destination finale. Par le biais de ses recherches, il nous présente ses relations, leur histoire et leur passé. C'est ainsi qu'on fait connaissance avec Siga D., écrivaine d'origine africaine, qui détient de nombreuses clés pour les recherches de Diégane.

Comme je le dis plus haut, le début a été chaotique, tout le livre premier en fait (le roman se découpe en trois livres), soit les 120 premières pages. Diégane en est le seul narrateur, et ce dernier a eu vite fait de me taper sur les nerfs : le style d'écriture pompeux et le vocabulaire bien trop recherché font de lui un personnage irritant. J'ai d'abord pensé que son enquête n'était en fait qu'un prétexte pour déblatérer sur des sujets pseudo-philosophiques qui n'ont aucun rapport avec le fil rouge de l'intrigue première. Ses réflexions intérieures et répliques tout en formules partent dans tous les sens, il fait digression sur digression, en employant des mots que personne n'utilise (je m'étais d'ailleurs fait la remarque que ce mec a raté sa vocation, c'est non pas vers l'écriture mais vers la politique qu'il aurait dû se diriger...). Bref, ce livre premier a été pour moi désagréable au plus haut point, long et fatigant.

Mais à partir du second livre, Diégane s'efface et laisse la parole aux autres protagonistes. On change de ton autant qu'on change de narrateur, le rythme est plus cadencé et la lecture bien plus agréable. Et malgré le changement de narrateur sans prévention aucune ni même transition, j'ai tout de suite accroché et n'ai plus voulu lâcher ma lecture. L'enquête sur Elimane et la quête personnelle de Diégane ne font plus qu'une. Et ce dernier paraissant moins condescendant que précédemment, j'ai enfin pu commencer à l'apprécier et à mieux le cerner.

L'enquête sur Elimane, bien qu'on veuille tout de même savoir ce qu'il est advenu de lui, n'est finalement pas le plus intéressant. J'ai aimé avant tout l'histoire de Siga D., l'aura mystique qui se dégage au sein même de l'intrigue, la psychologie des personnages.

Ce roman, quelque peu complexe dans sa structuration (notamment pour la narration à la première personne qui passe d'un narrateur à un autre sans crier gare) mais travaillé et abouti, nécessite clairement un minimum d'attention et de concentration, mais l'ensemble reste fluide et attrayant (presque) tout du long (sauf le livre premier en ce qui me concerne). J'ai tourné la dernière page avec une impression globale très positive.

Mohamed Mbougar Sarr a incontestablement un don d'écriture. Sa plume recherchée, minutueuse, riche se découvre avec délectation au fil des pages. Quelque peu alambiquée et pédante au premier abord, elle se veut finalement étoffée et stylisée. Je suis petit à petit tombée sous son charme et ai appris à l'apprécier de plus en plus au fil de ma lecture.

Si j'avais abandonné ma lecture pendant le livre premier, ce que j'ai failli faire plusieurs fois, je n'aurais pu dire que "Encore un Goncourt décevant !". Je pense pouvoir dire maintenant qu'il m'arrive peu souvent de rencontrer des plumes contemporaines aussi savantes, ce qui m'a certainement perturbée et lui a demandé un certain temps pour m'apprivoiser. En tous les cas, je me félicite d'avoir persévéré, car je crois bien que c'est la première fois que j'accorde autant d'étoiles à un prix Goncourt !
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