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Critique de Soleney


Mais quel est cet OVNI ? me suis-je demandée en lisant ce livre prétendument classique. C'est alors que ma perception du roman dit « classique » fut complètement secouée. Je les rangeais dans la catégorie des bouquins souvent chiants, où il ne se passait pas grand-chose et où les auteurs mettaient dix pages à décrire une scène. Pour moi, ils n'avaient pas le sens de l'humour. Et pourtant il me semble que, en particulier sur ce dernier point, je me sois complètement fourvoyée ! Scarron, pas le sens de l'humour ? Quelle blague… Quand j'ai commencé à lire, les premières lignes d'incipit me paraissaient incompréhensibles et inutilement descriptives – ce qui me confirmait dans mes préjugés.
Et puis, l'histoire s'est mise en place.

Déjà, de quoi ça parle ? D'une troupe de comédiens qui, après quelques mésaventures à Tours trouvent refuge au Mans. Mais ils ne savent pas que moult péripéties les attendent dans cette ville… Les (nombreux) personnages principaux sont donc tous les comédiens de la troupe. Nous les connaissons sous leurs noms de scène, à l'exception de deux d'entre eux, dont l'identité est dévoilée. Parmi ces personnages, un seul ressort vraiment : le Destin (dont le vrai nom est Garrigues), jeune homme décrit comme étant « aussi pauvre d'aspect que riche de mine ». Comprendre : vêtu comme un clochard, mais beau gosse. Il garde tous les atouts du héros romanesque (beauté, courage, force, intelligence) et cela fait de lui un cliché. Scarron, qui n'adhérait pas du tout au genre romanesque, se moquait-il ? Je ne sais pas, et ce n'est pas le seul personnage de ce type : Mademoiselle de l'Étoile (de son vrai nom, Mademoiselle de la Boissière) est la figure même de la féminité, c'est-à-dire de la beauté, de la grâce, de la douceur, de la sensibilité. D'ailleurs, ces deux-là sont amoureux l'un de l'autre. Évidemment.
Les autres personnages sont carrément opposés au romanesque. La Rancune est un vieil homme aigri dont le seul plaisir est de nuire à son prochain ; Ragotin, un ridicule petit personnage souvent victime de la Rancune, est lui aussi amoureux de l'Étoile, mais il est l'antithèse du Destin (ces prénoms permettent décidemment de drôles de phrases…). Étant le contraire même de la notion de héros, c'est le rigolo dont tout le monde se moque, même les comédiens – donc le comédien des comédiens. Il est LE personnage burlesque de l'oeuvre. Chacun de ses gestes, chacune de ses paroles le fait paraître plus stupide, maladroit et ridiculeusement imbu de lui-même.
Le reste de la troupe se compose de Mademoiselle de la Caverne, premier personnage décrit par Scarron (et comparée à une poule perchée sur son poulailler…), sa fille Angélique, grande amie de l'Étoile. Toutes deux se ressemblent (ce sont des jeunes filles, elles sont amoureuses, elles ont beaucoup d'admirateurs…), avec un petit avantage pour l'Étoile, qui est plus féminine, car le caractère d'Angélique est plus prononcé. Enfin, l'Olive est le dernier membre de l'équipe, et c'est deuxième tortionnaire de Ragotin – quand la Rancune a besoin d'aide. Il n'apparaît pas très souvent.

Scarron se fait plaisir, ça se sent. Il envoie brinqueballer ses personnages à droite et à gauche, les met dans des situations affreuses, mais drôles, et se moque ouvertement de son vilain petit canard, Ragotin. J'avoue que ça m'a surprise. Normalement, un auteur aime ses personnages, ce sont ses enfants, ses bébés. Pas ici. Les bagarres s'enchainent joyeusement, les rencontres plus ou moins heureuses se multiplient, les péripéties tournent souvent au ridicule... En règle générale, quand il y a un épisode épique ou romanesque – une sérénade (notamment celle de Ragotin pour l'Étoile), une rencontre avec des brigands, l'enlèvement d'Angélique – cela finit toujours de façon burlesque. La scène est ridiculisée, les personnages se retrouvent comme des cons et nous nous moquons ouvertement de leur bêtise. Pour Scarron, c'est peut-être aussi une manière de ridiculiser le genre romanesque, le style le plus répandu à son époque.
Précisons aussi que le titre de l'oeuvre, le Roman comique, fait référence à la comédie et donc aux comédiens, héros de l'histoire. Et non pas au rire ou à l'humour. C'est d'ailleurs très étonnant (et surtout très humain) que Scarron ait choisi des personnes de cette condition pour être les héros de son livre. Au 17e, les comédiennes étaient considérées comme ne valant pas mieux que des prostituées, et les comédiens étaient presque des sous-hommes – alors même qu'une très grande partie du peuple venait se divertir à leurs spectacles et les applaudir… On peut voir une tentative de faire valoir l'honneur de cette profession, car les comédiennes (l'Étoile, la Caverne et Angélique) ne se laissent pas séduire par les hommes qui cherchent leur faveur et se voient obligées de repousser – parfois brutalement – des prétendants encombrants. Ce ne sont donc pas des filles faciles, loin de là.
Donc, le Roman comique s'oppose au romanesque. Pourtant, dans la narration sont insérées quatre nouvelles espagnoles purement épiques et romanesques. le plus souvent racontées par un personnage secondaire, elles sont contenues dans un seul chapitre et n'ont aucun lien avec l'histoire. Et pourtant, elles font souvent écho à une aventure des comédiens, comme par exemple l'histoire de la jeunesse du Destin et sa rencontre avec l'Étoile.

Beaucoup de mystères ne sont jamais dévoilés, car Scarron est mort avant d'avoir pu terminer son oeuvre. On ne sait pas ce que devient le petit frère de la Caverne, par exemple. Si Scarron avait vécu plus longtemps, peut-être qu'on aurait pu lire la troisième partie des aventures de la troupe… de nombreux auteurs ont voulu écrire cette fin, mais je ne sais pas si c'est à la hauteur de l'oeuvre de Scarron, ne les ayant jamais lus. Honnêtement, je ne pense pas.
Il faut dire aussi que l'histoire est très complexe. Elle n'a peut-être pas autant de mises en abîme que La Mouche du Chevalier de Mouhy, mais les événements sont tellement multiples qu'on a du mal à tout retenir. Il y a au moins un rebondissement par chapitre, et il y a BEAUCOUP de chapitres…

Je ne conseille pas ce livre aux lecteurs qui n'ont pas l'habitude des livres un peu difficiles où il faut s'accrocher pour arriver à la fin. Personnellement, j'ai trouvé que l'auteur s'attardait trop sur certains détails par forcément intéressants, et trop peu sur d'autres que je trouvais plus croustillants. Cela a pas mal alourdit ma lecture, et je trouve ça dommage. Mais peut-être que si je relis ce livre dans quelques années je saurais l'apprécier à sa juste valeur…
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