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Critique de Bequelune


Dans cet ouvrage, Walter Scheidel décrit une histoire des inégalités. L'ambition est énorme : son histoire couvrira à la fois toute la surface du globe, et les différentes époques de l'histoire de l'humanité. Il en ressort un livre impressionnant par la quantité des connaissances qu'il mobile, un peu indigeste parfois, mais surtout perturbant par les conclusions qu'il apporte.

La thèse du livre est simple. On peut la résumer en deux temps :
1/ la tendance de toute société en croissante est un accroissement des inégalités et une concentration des richesses dans la main des plus riches.
2/ Seuls des événements extrêmement violents ont été capables dans l'histoire de contrer ce phénomène historique « déségalisateur ».

À partir de là, il va filer une métaphore avec les « 4 Cavaliers de l'Apocalypse » empruntée à St-Jean : ces 4 forces destructrices sont les seules qui, historiquement, ont réduits de façon importantes les inégalités : la guerre totale, la pandémie, la révolution communiste, l'effondrement étatique. Ces 4 forces ont un point commun : elles se déroulent dans un déchainement de violence qui tue un très grand nombre d'individus.

Je ne vais pas rentrer ici dans le détails de ces analyses. Je reviendrais simplement sur des idées dérangeantes qu'on peut avoir à la lecture du bouquin, et que Louis Chauvel synthétise brillamment dans son excellente préface du livre :

- Nous ne connaissons aucun outil (y compris la démocratie) qui ait permis de réduire de façon pacifique les inégalités et la tendance à l'aggravation de celles-ci. Même les mouvements sociaux ou les politiques gouvernementales de solidarité n'ont fonctionné que dans le cadre d'une guerre totale ou d'une révolution, qui toutes deux ont tué des millions de personnes. Et encore, cette efficacité est temporaires car, quelques décennies après, les inégalités reviennent très vite et très fort. Nous vivons, depuis les années 1980, ce moment de retour en puissance des inégalités après une baisse drastique de celles-ci pendant et dans l'immédiat après-guerre.
- La civilisation est un processus inégalitaire. Plus une société est civilisée, plus elle est inégalitaire. le fonctionnement normal d'une société en temps de paix est d'aller vers une concentration toujours plus importante des ressources dans les mains de quelques uns. À l'inverse, le retour à plus d'égalité est une simplification de la complexité des sociétés ; dit plus simplement, que ce soit à cause d'une guerre totale, d'une pandémie ou de l'effondrement, la fin de l'inégalité ne peut venir que d'une brutale et violente décivilisation.
- Cet accroissement des inégalités est un facteur important de troubles. Si Scheidel se refuse à tout déterministe et ne veut pas affirmer qu'il existe des seuils intolérables d'inégalités qui conduiraient inévitablement à la catastrophe, on est bien obligé de voir que l'inégalité extrême est une source majeure de dysfonctionnements.

Sur sa méthodologie
L'historien prévient dès les premières pages : il ne pourra s'occuper de toutes formes d'inégalités, et ne seront pas traités dans ce livre les inégalités entre hommes et femmes ou entre classes d'âge. Parler des inégalités économiques et patrimoniales est déjà un job énorme ; et c'est à ce défi qu'il va s'atteler sur près de 800 pages.

Il utilisera deux indicateurs principaux : le coefficient de Gini (un indicateur permettant de connaitre le niveau d'inégalités d'une population donnée), et la part de patrimoine possédée par les 10% les plus riches d'une société. Puisque l'ambition est de remonter à l'âge de pierre, un très grand nombre de sociétés seront examinées, à la fois dans le temps et dans l'espace. Évidemment, si l'on dispose de données diables pour les époques les plus modernes, plus on remonte dans le temps et plus il faut « bricoler » pour avoir des données exploitables. Scheidel montre toutefois que malgré des données flous pour un certain nombre de cas, les tendances qu'elles montrent sont cohérentes et c'est cela qui compte.

Un livre que j'ai trouvé aussi passionnant que dur à lire. C'est un sacré pavé de texte et de chiffres ; et ce n'est pas le genre d'ouvrage qu'on lit après une journée fatigante : il faut avoir l'esprit reposée. Une petite critique sur les graphiques : l'impression en noir et blanc de courbes qui étaient a priori en couleurs à l'origine… les rend illisibles. À plusieurs reprises, je me suis demandé l'intérêt de mettre des graphiques qu'on ne pouvait pas lire car trop petit et sans couleur. À part cela, je suis content de moi d'avoir fini ce pavé, j'ai l'impression d'avoir appris beaucoup de choses sur beaucoup de sociétés… et il va me falloir du temps pour digérer les idées inconfortables sous entendus par ce livre.
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