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Critique de Marie-Nel


Je connais déjà Melinda Schilge pour avoir lu deux de ses précédents romans, le comptable et  Ciao bella où j'avais pu apprécier son style et sa façon d'investir une histoire afin de la rendre la plus vivante possible. J'étais donc très contente de la retrouver dans ce nouveau roman, avec un résumé qui m'intriguait beaucoup. J'aime les histoires où le passé et le présent se mélangent, et où ce passé si fort influe sur le présent.

 

Cela va donc être le cas ici avec l'histoire de Jeanne. Au début du roman, nous sommes en 1968, Jeanne vit à Paris, où elle héberge la petite-fille de sa cousine, Lucie. Celle-ci est emballée par les diverses manifestations qui ont lieu pendant ce mois de mai 1968. Lucie aime parler avec sa grand-tante, Jeanne. Celle-ci va alors lui parler de sa grand-mère Marilène, avec qui Jeanne a tenu une correspondance régulière. Jeanne est parisienne, mais la moitié de sa famille, dont sa cousine fait partie, est alsacienne. Il faut savoir qu'on est alors à la fin de la première guerre mondiale, que l'Alsace vient de redevenir française, mais qu'une partie d'entre ses habitants est encore allemande dans l'âme. Nous, en tant que lecteurs, on connait déjà L Histoire, on sait qu'une deuxième guerre va avoir lieu, on sait la montée du nazisme, et c'est alors très intéressant de voir ce que pensaient ces personnes à ce moment là. Certains proches de Jeanne vont adhérer aux idées du parti d'Hitler, créant ainsi des tensions au sein de la famille.

On suit donc pendant presque un demi siècle, Jeanne et sa famille. Dans les années 20, c'est une jeune femme dynamique, autonome, qui se passionne pour la mécanique, fait plutôt rare dans cette société où la femme ne doit pas aimer les mêmes choses que l'homme et doit se consacrer à sa maison et son foyer. Pour faire plaisir à ses parents, elle étudiera la dactylographie et travaillera dans ce domaine. Mais Jeanne rêve d'autres choses. Elle a découvert le cinéma et tout ce qu'il peut amener comme découvertes et passions. Elle rencontrera Kurt, un jeune allemand, qui a fait un documentaire sur la violence et la propagande du nouveau parti qui prend de plus en plus d'importance en Allemagne. Bien sûr, cela est très mal vu. Même les parents de Jeanne s'opposent à un tel travail.

Jeanne se mariera avec Théodore, et même si l'amour n'est pas si fort que ça au début de leur couple, ils vivront tous deux une belle histoire. Théodore est fascinée par cette femme aux idées peu conventionnelles et la soutiendra bien souvent. Les rapports entre les membres de la famille de Jeanne vont peu à peu se rendre plus on approchera de la seconde guerre. Jeanne se rend compte, grâce au documentaire de son ami Kurt, du danger que représentent les nazis, mais personne ne l'écoute, au contraire même, tout le monde cherche à la faire taire. Et quand on sait ce qu'il va se passer, on se dit que c'est dommage que des personnes comme Jeanne n'aient pas été plus écoutées. On se rend compte aussi, que c'est la classe des gens ayant le moins d'aisance financière qui adhère le plus aux idées allemandes.

 

C'est une histoire qui fait beaucoup réfléchir, sur plein de sujets. Les relations familiales ont été très tendues, et des fossés se sont creusés entre certains membres, qui auront bien du mal à se pardonner une fois la paix revenue. J'ai beaucoup aimé suivre Jeanne et sa nombreuse famille. Les personnages sont nombreux, au début, je cherchais un peu qui était qui, mais cela n'a pas duré longtemps, car ils ont tous des rôles bien précis, des caractères parfois complètement opposés qui fait qu'on arrive très bien à les mémoriser. J'ai trouvé la correspondance entre Jeanne et Marilène très intéressante, elle permet d'avoir plusieurs points de vue différents sur un même sujet, elle permet aussi de voir que chacun aura des réactions différentes qui auront des conséquences sur leurs vies.

Comme je disais précédemment, cette histoire nous fait réfléchir sur les causes de la montée du nazisme, sur ce que Hitler inspirait déjà, sur la fascination que les gens avaient pour lui, sur toutes les promesses d'une vie meilleure qu'il a faites et dans lesquelles les gens modestes ont cru. Ceux qui voyaient le danger n'avaient pas la parole, n'étaient pas écoutés, et étaient même considérés comme des dangers eux-mêmes. Quand on connait le but final de Hitler, on se dit que c'est vraiment très dommage qu'il n'y ait pas plus de réactions. Je ne veux pas faire de politique, là n'est pas le propos, mais cela devrait faire réfléchir, même à notre époque actuelle, les dangers de certains partis sont bien réels…

 

J'ai beaucoup aimé comment Melinda Schilge arrive à nous pousser à la réflexion ainsi, au travers la vie de personnages de roman. On ne peut pas rester insensible devant tout ce qui arrive à cette famille, et on se doute bien que certains faits sont inspirés de faits réels. J'ai aimé la façon dont l'auteure a travaillé ses personnages, qu'elle ait fait de Jeanne une femme qui ne rentre pas dans le moule de la société de cette époque. Et d'ainsi voir comment il est difficile d'être bien considéré quand on ne fait pas ce que les autres attendent de nous.

 

Je me suis très vite attachée à Jeanne, à Marilène, à Lucie, à Théodore, Eugène, à Oma et Opa, aux parents de Jeanne, bref, à cette famille. Certains membres sont plus énervants, mais en fait, c'est comme dans la vie réelle, on a parfois plus d'affinités avec l'un ou l'autre. En tout cas, tous ces personnages sont très bien travaillés, dans ce qu'ils ont de bon comme de mauvais, dans leurs idées, dans leurs ressentis, ce sont des êtres entiers et l'auteure a mis dans chacun d'eux beaucoup de densité et j'aime quand c'est comme ça.

L'attachement à Jeanne est renforcé par le choix narratif de Melinda Schilge qui est celui auquel je suis le plus sensible. Elle a en effet choisi de raconter à la première personne du singulier. Ce « je » est très intéressant, car il permet, pour moi, de ressentir encore mieux les émotions du personnage, de rentrer dans sa tête, et de me confondre avec lui. Et j'ai beaucoup aimé être dans la peau de Jeanne, j'ai vécu son histoire à travers elle, parfois, j'avais envie qu'elle prenne un autre chemin mais dans l'ensemble j'ai apprécié ce que l'auteure lui a fait vivre.

En plus, un autre point que j'apprécie chez cette auteure, c'est qu'elle sait très bien faire correspondre son écriture et son style avec l'époque.. Lucie est une jeune fille moderne, Jeanne a eu 20 ans au début du siècle, elles ne s'expriment pas de la même façon. À l'époque de Jeanne, tout est plus ampoulé, un peu désuet, les gens ne s'adressent pas la parole de la même façon, et j'ai beaucoup aimé que l'auteure fasse cette différence de propos et fasse évoluer son écriture selon l'époque.

Le style est très bon, pas de longueurs, tout est savamment mesuré entre les dialogues et les descriptions. Melinda Schilge sait retranscrire l'ambiance et l'atmosphère. Je me suis vraiment cru dans les années folles, où l'allégresse était de mise après la fin de la première guerre, et j'ai bien ressenti l'ambiance qui devenait plus lourde au fur et à mesure où les crises arrivaient et où on se rapprochait de la seconde guerre. le tout est bien ficelé, bien mené, pour arriver à un final qui est porteur d'espoir. J'aime bien ces fins où on sait ce qui arrive à chacun des personnages, cela me permet d'avoir une vue d'ensemble sur leurs vies, de savoir ce que leurs choix ont eu comme répercussions. C'est très intéressant.

 

Je pense que vous l'aurez compris, j'ai beaucoup aimé cette lecture qui m'a poussée dans mes retranchements, mes propres avis ont été parfois malmenés, elle m'a permis de réfléchir sur certains faits. Et j'aime quand ma lecture a ce double rôle de me divertir et de m'instruire en même temps. C'est un roman qui se lit assez vite, une dois dedans, il est très difficile à quitter, car on a envie de savoir ce qu'il va arriver, et cela pousse à lire plus vite. Il règne un certain suspense qui rend la lecture addictive.

Je ne peux vraiment que vous recommander la lecture de ce roman. En plus, je trouve la couverture très jolie, ce qui ne gâche rien. Si vous ne connaissez pas encore Melinda Schilge, c'est le moment de le faire avec cette histoire. Je trouve cela important de lire sur ce sujet, pour faire réfléchir et faire comprendre aux plus sceptiques que la menace existe toujours, elle n'est plus au même endroit, mais elle peut à nouveau être redoutable.


Lien : http://marienel-lit.over-blo..
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