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Critique de 5Arabella


Ecrite entre 1783 et 1787, cette pièce est une étape importante dans l'oeuvre de Schiller. Dans des lettres adressées à Dalberg, il précise ses intentions et partis pris. Il se déclare en faveur de la haute tragédie, sa pièce est donc un drame historique, avec des personnages royaux et princiers, à l'opposé des pièces aux thématiques bourgeoises banales. Il veut se libérer de la domination excessive de Shakespeare, trouver un moyen terme entre le goût français et anglais. Il lit beaucoup de pièces classiques françaises pendant qu'il écrit son oeuvre. Il lie le fond à la forme, et accorde beaucoup d'importance à la versification, même s'il rejette la rime. Certains considèrent donc que cette pièce marque un retour vers le classicisme, un abandon tout au moins partiel de l'esthétique du Sturm und Drang.

Néanmoins, les déclarations à Dalberg pouvaient être, tout au moins en partie, dictées par le désir de convaincre le puissant directeur du théâtre de Mannheim d'accepter sa pièce. Par ailleurs, la pièce par sa longueur, sa complexité et ses thématiques, s'écarte du classicisme. Schiller lui-même a reconnu cette grande complexité, et semblait même considérer que la pièce était plus adaptée à la lecture qu'à la représentation, ce qui là aussi s'écarte du canon d'une pièce classique.

Nous sommes en Espagne au XVIe siècle, à la cour du roi Philippe II. Ce dernier a finalement épousé la fiancée de son fils, Élisabeth de Valois, avec qui il a eu une fille. Mais Carlos, le fils du roi, aime Élisabeth et il en est aimé. Mais Élisabeth reste fidèle à son époux, qui se montre très jaloux et très sévère vis à vis de son fils. Ce dernier est très proche du marquis de Posa, qui le pousse à se mettre au service des Flandres, cruellement traitées par l'armée royale. Élisabeth l'encourage dans cette voie. La princesse Eboli, dame de la reine, aime aussi don Carlos. Elle surprend le secret de l'amour entre Élisabeth et Carlos et en donne des preuves au roi, dont elle devient la maîtresse. Le roi est fasciné par Posa, dont il veut faire son ami. Ce dernier tente de rassurer le roi sur les liens entre Élisabeth et Carlos, tout en poussant ce dernier à partir pour les Flandres. Il tente d'abuser le roi, mais au final, il finit tué par ses sbires. Le roi surprend Don Carlos chez la reine et le livre à l'Inquisition.

La pièce s'éloigne beaucoup de la réalité historique. En réalité, Charles d'Autriche, l'infant, semble avoir été une victime de mariages consanguins de la famille royale espagnole. Il était d'après les sources, difforme, épileptique, très laid et également de caractère instable, sujet à des violentes crises de colères. Il n'y a jamais eu d'histoire d'amour entre lui et Élisabeth de Valois, et il semble même que le mariage de cette dernière avec Philippe II était plutôt réussi. Philippe n'était de toutes les façons pas le vieillard qu'en fait Schiller, au moment du mariage, il n'avait que 32 ans. Charles était bien en rivalité politique avec son père, et il est entré en contact avec les insurgés flamands. Les historiens sont divisés pour savoir s'il a voulu attenter à la vie de son père, qui l'a fait condamner par l'Inquisition, il est mort en prison sans doute empoisonné. Le marquis de Posa est une figure entièrement imaginée par Schiller.

En fait, Schiller, et plus tard Verdi et Camille de Locke, son librettiste, transportent les problématiques des libertés individuelles et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, questions centrales à l'époque où a été écrite la pièce (à la veille de la Révolution française) et l'opéra de Verdi, dans l'Espagne du XVIe siècle, où ces questions n'étaient pas vraiment à l'ordre du jour. Un personnage secondaire de l'histoire, l'infant Charles d'Autriche, est transformé en héros romantique flamboyant, un autre personnage, Posa, créé de toutes pièces pour les besoins du propos.

Schiller met en scène trois pouvoirs écrasants, qui broient les êtres, les empêchent de se réaliser : le pouvoir de la religion, dont l'incarnation la plus noir est l'Inquisition, représentée par le terrifiant Grand Inquisiteur, le pouvoir politique, concentré dans les mains de Philippe, qui est une atroce tyrannie, et enfin le pouvoir familial, du père de famille tout puissant qui s'exerce sur sa femme et sur son fils. L'époque est aux remise en questions de ces pouvoirs, et Schiller met en scène un tableau particulièrement frappant de leurs effets désastreux. Le roi, tyran absolu, s'appuyant sur le pouvoir de l'Inquisition, est absolument seul, régnant dans un monde mortifère, carcéral, et dans lequel même le maître qui règne sans contre-pouvoir, souffre et ne peut accéder au bonheur. Il est presque la première victime de sa toute puissance.

Une pièce vraiment passionnante, même si elle est probablement plus intéressante à lire qu'à voir en spectacle, et dont Verdi a très bien conservé les aspects les plus essentiels dans son opéra.
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