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Critique de mfrance


« les amnésiques » ou l'art, déployé par Géraldine Schwartz, d'éclairer l'histoire du 20è siècle.
Fille d'un allemand et d'une française, cette journaliste a la chance d'être parfaitement bilingue et biculturelle, ayant depuis l'enfance baigné tant dans le monde latin que dans le germanique.

Avec clarté et objectivité, elle s'interroge tout au long de cet ouvrage sur le passé de ses deux patries, et par le biais de la chronique familiale, ce qui rend la lecture particulièrement fluide et aisée, elle sonde les côtés les plus obscurs de l'histoire de chacune d'elles.

Son grand-père allemand, industriel à Mannheim, a profité de l'aryanisation des biens juifs pour conclure une affaire avantageuse en achetant à vil prix (le prix fixé par les nazis) en 1938 l'entreprise Löbmann alors que cette famille souhaitait quitter l'Allemagne hitlérienne.

Son grand-père français, gendarme sous le régime de Vichy, dans une localité proche de la ligne de démarcation a accompagné jusqu'au camp de Gurs, dans le sud-ouest de la France, le premier convoi de juifs déportés à l'automne 1940.

A partir de ces deux événements, Géraldine Schwartz sonde avec acuité le vécu de ses quatre grands-parents de 1939 à 1945 mais surtout cherche à mettre en évidence l'attitude de la population de chacun des deux pays, se penchant principalement sur l'Allemagne hitlérienne.

Si son grand-père était affilié au parti nazi, il n'en était pas pour autant un membre actif. Sa grand-mère, par contre, non encartée, éprouvait de l'admiration pour Hitler, le « sauveur » de l'Allemagne.

Géraldine Schwartz s'est donc livrée à de sérieuses recherches historiques pour tenter de comprendre l'attitude de la population de l'époque, et elle stigmatise les « Mitlaüfer », c'est à dire ces citoyens qui se sont contentés de suivre, sans jamais rien tenter pour empêcher, voire simplement freiner les événements. La majorité du peuple est restée silencieuse, cantonnée dans un suivisme qui a permis à Hitler et son régime criminel, alliant arsenal de séduction et système répressif, de commettre toutes les horreurs qui ont déshonoré l'Allemagne.
La question est posée : si ces Mitlaüfer s'étaient élevés contre le régime, l'histoire aurait-elle pu en être changée ?
« Nous ne pouvons pas nous mettre à la place des gens d'une époque que nous n'avons pas vécue, où tout était si différent » dit la tante de l'auteur.

Après la guerre, dans l'Allemagne occupée par les alliés, les américains vont entreprendre la dénazification du pays, mais celle-ci sera vite abandonnée par le gouvernement du premier chancelier de la RFA, Konrad Adenauer, au nom du principe : « laisser le passé au passé », facilité dans laquelle les allemands vont s'engouffrer avec soulagement.
Le Bundestag ira même jusqu'à voter une loi d'amnistie bénéficiant à des milliers de nazis condamnés à une peine de 6 mois maximum, et réintégrant des fonctionnaires écartés par les alliés au nom de leur proximité avec le régime nazi. Ce qui favorisa l'amnésie des citoyens.
Aussi le grand-père de l'auteur sera-t-il surpris de se voir réclamer un dédommagement par le seul survivant de la famille Löbmann ! Inconscient de l'injustice commise lors de l'acquisition de cette entreprise juive en 1938 et allant même jusqu'à juger la réclamation injuste !

…. Jusqu'à ce qu'un procureur courageux Fritz Bauer aille secouer la torpeur ambiante et initier la série de procès qui vont éveiller la conscience de la génération d'après-guerre, celle du père de l'auteur, celle des jeunes gens interrogeant leurs parents : « et vous , qu'avez-vous fait sous le IIIè Reich ? ».... et lui instiller la nécessité d'une démocratie vigilante, refusant les extrémismes de tout poil.

Côté français, il a fallu plus de temps encore pour casser le mythe d'une France résistante, fiction largement propagée par le général De Gaulle, alors qu'en réalité le pays avait tremblé ou collaboré sous la botte nazie, s'était assoupi sous le régime de Vichy, et que la Résistance ne représentait pas plus de 2% de la population !

Mais ce qui a causé un véritable électro-choc, tant du côté français qu'allemand, ce fut, curieusement, la série « Holocauste » sur le génocide dans les camps d'extermination, mettant en avant le mot « Auschwitz » et sa cohorte d'abominations, à la suite de quoi les meurtres de masse commis par le régime furent mis en lumière, faisant l'objet de films et d'une littérature dédiée.

Pour terminer sa brillante démonstration, l'auteur fait un bref tour d'horizon européen, pointant le déni de responsabilité de certains pays, dont l'Autriche, évoquant la situation particulière de l'ex-RDA et mettant en lumière les anciens pays satellites de l'ex-URSS où le fascisme vit toujours de beaux jours. En effet, d'après elle, sous le joug soviétique, aucun appareil critique de l'époque nazie n' a été mis en place, ce qui favorise l'amnésie du peuple et son soutien à des régimes contestables, tels que la Hongrie de Victor Orban par exemple.
L'auteur s'interroge donc sur l'intérêt de maintenir dans l'Union Européenne ces pays qui profitent des subsides accordés par l'Europe, sans contrepartie, et qui en outre piétinent la démocratie, s'attaquent aux libertés individuelles et où xénophobie et antisémitisme prolifèrent dangereusement ; cette montée des extrêmes-droites, y compris en Allemagne, étant favorisée et financée par Poutine !

Enfin un ouvrage hautement recommandable, suscitant réflexion de la part du lecteur amené à s'interroger sur les dérives d'un présent, qui, apparemment, fait actuellement fi des leçons transmises par le passé et interpellant sur la frilosité de l'Europe face aux enjeux du 21è siècle.
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