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Critique de Dandine


Encore un admirable petit livre de Schwob. Une ecriture delicate, douce, pour raconter une histoire douloureuse. Et un procede technique novateur a son époque (je crois). Il rapporte huit temoignages differents sur un evenement, une epopee, qui tient du legendaire, du fabuleux, mais aussi de l'hallucinant, du terrifiant: la croisade des enfants de 1212 (A-t-elle vraiment eu lieu? Si oui, etaient-ce vraiment des enfants? Questions. Reponses floues. Mystere et boule de gomme).


Huit temoignages: d'un goliard (un clerc itinerant), tout etonne de voir cet essaim d'enfants, qui laisse apparaitre ses craintes de ce qui peut leur arriver; d'un lepreux, admiratif du fait que ces enfants n'ont pas peur de lui, le considerent comme tout autre etre humain, et voit en eux un signe divin, s'ecriant "Domine infantium, libera me!"; du pape Innocent III, qui comprend que ces enfants vont a leur perte mais ne sait s'il peut les arreter, ni comment, s'exclamant en une priere solitaire "Seigneur […] ne faites pas qu'il y ait sous Innocent un nouveau massacre des innocents"; de trois des enfants, qui temoignent que des voix blanches les ont appeles, et qu'ils vont vers la mer, "au bout de la mer bleue est Jerusalem"; d'un autre clerc, rond-de cuir du port de Marseille, qui commandite dare-dare des bateaux parce que les echevins de la ville craignent "la folie de cette armee puerile"; d'un musulman levantin, qui raconte comment ces enfants ont ete en fin de compte interceptes en mer et vendus comme esclaves; d'une autre petite fille, une ame pure qui ne sait pas ou ils vont mais marche avec le groupe uniquement pour tenir par la main et guider un petit aveugle qu'elle aime, esperant qu'a l'arrivee – miracle – il puisse enfin la voir; du pape Gregoire IX, qui connait deja le tragique denouement et accuse la mer, ne pouvant accuser son Dieu: "O mer Mediterranee je te pardonne et je t'absous. Je te donne la tres sainte absolution. Va-t'en et ne peche plus. Je suis coupable comme toi de fautes que je ne sais point".


Schwob ecrit une tragedie. Des sentiments purs menent des hommes – des petits d'homme – au desastre. Et ceux qui le comprennent ne savent pas – ou ont trop peur ou trop d'interets pour agir – comment empecher ce suicide collectif. Est-ce que traitant de cette croisade puerile Schwob laisse transparaitre ce qu'il pense de toutes les croisades? Peut-etre. Ou pas.


Comme pour les Vies imaginaires, je reste sous le charme de l'ecriture de Schwob. Un joyau. Une feerie. C'est pour moi le point le plus fort de ce petit livre. Ce qui donne envie de le relire. Je le ferai surement un jour, si je ne me perds pas dans de fallacieuses quetes de Jerusalems illusoires. Mais j'ai bon espoir: je ne suis plus un enfant, quoique je reste pueril.
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