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Critique de ATOS


ATOS
13 décembre 2016
« Des animaux hébergés dans le Nocturama, il me reste sinon en mémoire les yeux étonnamment grands de certains, et leur regard fixe et pénétrant, propre aussi à ces peintres et philosophes qui tentent par la pure vision et la pure pensée de percer l'obscurité qui nous entoure ». WG Sebald.
J'ai repensé à la phrase d'Adorno que G Didi-Huberman avait cité au début de son essai Remontages du Temps Subi, l'oeil de l'histoire (2) : «  Quand il pense, son oeil s'étonne, presque désemparé, puis s'illumine tout à coup. C'est avec un tel regard que les opprimés peuvent devenir maître de leur souffrance ».
Faire la lumière, du moins tenter de la faire vivre, du moins, de lui permettre de survivre.
Il y a entre W.G. Sebald, plus exactement entre Jacques Austerlitz, le personnage central de ce roman, Aby Warburg, historien de l'art , et Walter Benjamin ,l e philosophe, une réelle correspondance. Ils se font signe et nous font signe.
L'image est au centre de leur travail. La mémoire, la genèse de l'histoire , la problématique de l'image. Sa rémanence. Quelque chose est là, inscrit, qui fait signe, qui nous parle, qui communique. L'image non officielle, « l'image de ce tous à chacun ». Cela peur être une photographie, ou la vue directe d'un objet, la lumière de la verrière d une gare, l'escalier d'une bibliothèque, un sac à dos, un livre, un accent, une comète gravée sur un compteur électrique, le quai d'une gare ….
Jacques Austerlitz, retrouve sa mémoire comme on recouvre la vue.
La persistance rétinienne de l'âme.
Il est possible de tout perdre sans véritablement rien oublier.
L'image, l'articulation, le remontage des temps cataclysmiques, traumatiques.
Comment formuler une phrase ? . Comment affronter la déchirure, la béance du temps ? .
Notre passé, notre devenir est ce ...là ? Sous nos yeux ? Était- ce déjà entre nos mains ?
La survivance des lucioles n'est pas absente de ce roman. le travail de G. Didi-Huberman fait écho. Ces images de, et, en mémoire... leur résonnance.
Travailler sur l'image, y plonger, en remonter des mots, des parfums, des couleurs, faire passage à la musique des ombres, Comme des fragments de poterie, laisser venir l'émotion, formuler, traduire, procéder à la lecture, tout cela me parle, fait écho dans les méandres de mon esprit.
«  J'ai d'emblée été étonné de la façon dont Austerlitz élaborait ses pensées en parlant, de voir comment à partir d'éléments épars il parvenait à développer les phrases les plus équilibrées, comment, en transmettant oralement ses savoirs, il développait pas à pas une sorte de métaphysique de l'histoire et redonnait vie à la matière du souvenir ».

Nous avons tous cela en nous. Cette capacité à capter, à recevoir ce que les objets d'image nous adressent, et ce qui nous est adressé c'est un geste. L'homme qui a dessiné une forteresse, l'enfant qui regarde l'objectif, celle qui choisi l'instant de la photographie,ce livre déposé , ce visage sculpté, tout cela ce sont des gestes. Geste de vie, geste d'amour, geste de peur, de colère geste de fuite. Preuve de vie. Preuve d'absence. J'ai toujours été fascinée par l'image manquante, l'idée d'une image lacunaire, l'idée d'une clé.
De la clé au passage il n'y a peut être que les portes de notre esprit. «  là où la vie emmure, l'intelligence perce une issue » écrivait Marcel Proust.
Penser un savoir. C'est parfois l'oeuvre de toute une vie, parfois même le devoir de l'humanité.
Pour penser juste il faut penser vrai. Et ce respect du savoir que WG Sebald a su faire entrer dans cette fiction. Cela aurait pu être totalement impossible. Mais il a réussi. Comme Laszlo Nemes a réussi , dans son film le Fils de Saul, à nous faire entrer dans une des Nuits les plus terrible de l'Histoire. Ne n'en sortons pas intacts mais plus forts parce que nous devenons plus vrais, plus justes.

J'ai découvert Austerlitz de W. G Sebald à travers le chef d'oeuvre cinématographique de Stan Neumann , et je l'ai lu sur les lèvres de Denis Lavant.
Lorsque je j'ai ouvert le livre et que j'ai commencé sa lecture, je suis entrée plus précisément dans l'articulation du langage de Sebald , d'une construction étonnante.
Ce roman est construit en écho. Une fiction en écho. Les choses ne peuvent pas parfois revenir, ressurgir directement,. Les hommes les mots brûleraient, ils seraient foudroyés par l'horreur, le chagrin , la douleur.
G Sebald a choisi la forme du témoignage, sous forme d'enquête, pour mener son récit.
Jacques Austerlitz raconte au narrateur. le narrateur retranscrit. Il y a donc un effet de profondeur qui a été introduit. Effet photographique, mnémonique. Perceptive du temps qui donne lecture à l'avenir.
Les images témoignent de leur temps. Elles nous rapprochent de la vérité.De leur sauvegarde dépend notre survie.
Jacques Austerlitz part en quête de ce qu'il pressentait et cela depuis toujours. Il est en quête de sa vérité. Photographie amateur, passionné d'architecture, il perçoit, recherche le lieu, il a cet instinct de survie, Anvers...Londres, Bruxelles, Paris, Marienbad, Prague, le Ghetto de Terezin, Paris... ce lieu c'est sa mémoire.
J'ai un profond attachement pour ce personnage auquel W.G Sebald a donné vie.
Une oeuvre étonnante, magistrale. L'histoire de Jacques Austerlitz est présente.
Un jour les Amériques, un jour ...Prague, un jour Drancy , un jour l'Anatolie, la Namibie, ou la St Bathélémy, demain Srebrenica ou Sabra ou Chatila, le Cambodge , l'Ukraine, le Rwanda, encore un autre jour ...l'unité 731, et puis un autre jour …. Alep.
Ce lieu devient la mémoire ,
la mémoire, de tous à chacun d'entre nous.


À écouter, la très belle émission que France culture consacrait à l'oeuvre de W.G Sebald en septembre 2012 :
https://www.franceculture.fr/emissions/une-vie-une-oeuvre/wg-sebald-1944-2001

à voir :
« Austerlitz » film de Stan Neumann 2015
http://www.lesfilmsdici.fr/fr/catalogue/5040-austerlitz.html


Astrid Shriqui Garain

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