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Critique de jovidalens


La lecture terminée, je suis restée sans voix : sujet difficile, complètement maitrisé et avec quel brio !
Le sujet : l'affaire Papon, depuis son poste à Bordeaux jusqu'à son procès et surtout les questions que cette affaire soulève, son impact sur notre imaginaire et sur notre réflexion.
Dans l'imaginaire populaire des siècles précédents, la guerre était l'affaire des professionnels et le citoyen commun pouvait être relativement épargné, si situé derrière la ligne de front. La seconde guerre mondiale a changé la donne : chacun peut être à la fois victime et acteur, même par le non-dit. Un long travail a été effectué pour disséquer, comprendre et affronter le fait que l'extermination en masse passe par une parcellisation des tâches, une responsabilité rejetée sur l'élément immédiatement supérieur : l'obéissance aux ordres, ce fameux rapport de dépendance à l'autorité, effrayant rouage de l'efficacité. Et c'est bien l'objet de cet ouvrage : Papon grand laquais d'Etat dont l'obéissance aux ordres équivaut à un cautionnement.
Née après la guerre, mon adolescence a été bercée par les chants des partisans, les récits de tous ces héros de la résistance, les films que programmait la seule chaîne de télévision entre « Nuit et Brouillard », « Les Canons de Navaronne », « La Bataille du Rail ». La France était grande et elle avait résisté à l'envahisseur ! C'était sécurisant ! Après Malraux et Kessel, il ya eu Astérix. Et puis, les années passant, il y a eu d'autres voix, il y a eu d'autres dictatures en Asie, en Amérique Latine et cette interrogation lancinante : comment des hommes peuvent-ils devenir les bourreaux sourds et aveugles de leurs concitoyens. Puis des débuts d'explication …le choc des procès comme ceux d'Eichmann et de Papon.
Notre « imaginaire nationale » a du en rabattre. le régime de Vichy a été, de fait, un gouvernement de la France et il fallu attendre un certain discours du Président Chirac pour reconnaitre la complicité de Vichy dans la déportation des juifs. Et oui notre police a été mise à contribution, pas seulement la milice.
C'est aussi ce dur cheminement qui est raconté derrière le propos de ce roman graphique.
Sans oublier que les auteurs de cet ouvrage sont nés l'un et l'autre au début des années 1980 : ce sont nos/mes enfants et ils peuvent poser un regard serein sur les cinquante années qui ont suivi l'occupation. C'est le temps de l'Histoire.
La mise en scène est rigoureuse, basée sur des faits réels, étayée par le choix des séquences et des documents maintenant historiques du procès. Même pour un néophyte, la progression du récit est claire. Sacré travail d'analyse pour effectuer ce choix. le prologue : la fin du procès Papon en 2002 et puis par flash-backs, suivi de la carrière de cet important laquais de l'Etat et des exactions qui émaillent son parcours. Papon reste un mystère, dissimulé derrière son masque et son arrogance. Eichmann apparaitrait presque moins distant, plus…humain !
Intelligence du scénario qui entrelace à ce récit oppressant de bassesse celui d'Arthur, dont la vie va être détruite : ses parents ont été « raflés », il sera séparé de la femme qu'il aime pour cause de judéité. Seul rescapé avec sa soeur de ce naufrage ; elle choisira de vivre en rayant d'un trait ce passé, lui consacrera sa vie à trouver, à nommer les coupables. Et, dans ce roman, c'est lui le symbole de tous ces gens qui ont cherché pendant des années, des décennies, retrouvé aux quatre coins du monde les dirigeants, les responsables de ces horreurs pour les amener devant une cour de justice.
Roman graphique superbement composé, servi par un dessin en noir et blanc, qui a l'exactitude d'un dessin d'architecte, la précision d'une photo. Jean-Baptiste B est , bien sûr un fin observateur :il capte avec tendresse les gestes, les regards et ce qu'ils traduisent de l'être, de la pensée qui le traverse. Rien qu'avec quelques gris nous sentons la chaleur qui règne sur ce sud-ouest, la lumière de la baie d'Ajaccio, la fraîcheur de l'ombre d'une tonnelle, le froid glacial du camp de concentration ou la froid humide et gluant des bords de Seine de l'année 1961.
Super bien titré ces « Crimes de Papier » sont illustrés, déclinés à la tête de chacun des trois chapitres qui constituent ce roman : une liasse d'ordre d'arrestation de juifs sous laquelle a giclé une tâche noire, de sang ? d'encre ?, quelques enveloppes datées de 1947 adressées à Isabelle, l'amour d'Arthur jetées en vrac sur un support éclaboussé d'une tâche noire…, un carnet fermé par un élastique sous lequel se répand…
Enthousiaste et touchée par ce roman, un extrait de la préface de Me Zaoui sera plus explicite : «C'était une gageure de présenter sous cette forme populaire et directe la terrible réalité de l'histoire française sous l'occupation, de faire admettre sans l'édulcorer le fait que notre pays, par l'intermédiaire de certains de ses agents comme Maurice Papon, s'était rendu complice de crimes contre l'humanité. le pari a été gagné…Car les auteurs ont su, avec émotion et talent, transcrire le sérieux du procès Papon et ce qu'il a révélé de cette catastrophe du XXe siècle.»
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