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Critique de de


J'ai mal à Platonov

Petite ampoule restée allumée, « la servante », assure la permanence des planches, du théâtre. La servante c'est aussi le nom de la femme dans le travail domestique chez autrui « Franchir le territoire privé, l'intérieur méprisable ». Ce travail avilissant « Toujours les mêmes gestes. Indéfiniment. de la lente dépossession de soi », ce travail de ménage toujours à recommencer, cet agencement de gestes et de dégoût « Personne ne devrait en arriver à passer ses journées à laver la souillure des autres ».

Le passé comme rupture dans les lieux, les existences, surtout pour la mère, l'installation en France, puis l'appartement en cité. La mère et son corps « Sans doute charge-t-elle son corps de dire à sa place ses peurs, ses doutes, la question obsédante de son identité troublée ». Sans oublier l'histoire du mariage, de ce lien, de ce trop, imposé à la mère, comme sera imposé le départ. le hier passé c'est donc l'Algérie.

Le passé moins passé, ce sont les premières vies en France, et des images marquantes, comme cette visite avec le père au bidonville « Là finissait le bidonville. Là aussi commençait l'autre monde, avec sa ville, ses habitants, et ses chaussures propres ». Un récit comme à distance mais des regards chaleureux envers ces deux proches.

Et la lourde fatigue de ces nettoyages « La fatigue m'empêche aussi de réfléchir. C'est le plus terrible. Ma tête se vide, s'assèche, rien à y mettre, rien qui s'y passe, un grand hall vide et froid », l'accablement d'une activité dévalorisante « Et la déprime qui guette, le mépris de soi, la culpabilité ». le quotidien des femmes précarisées et la mémoire des gestes de la mère. Les surgissements des différents passés en miroir « je me vide, c'est sans fin, au fond de l'évier, tu es là, tes yeux noirs immenses me fixent dans l'eau trouble, tes traits peu à peu se mêlent aux miens, tu es là, toi et la répugnante condition dont tu me fais l'héritière »

Et le souvenir du théâtre « Dans ma robe légère, j'aillais rejoindre mon obscurité, ma nuit à moi. J'allais au théâtre ». le théâtre comme activité, comme source d'être, de joie.

Un livre de « celle avec qui on aime parler la nuit », un récit sur ce « seul métier qui donne droit au don d'invisibilité », une histoire de déracinement et d'espoirs relégués dans un tiroir si personnel. Une écriture comme une arête soulignant le non visible, la réduction d'une femme au journalier répétitif, un retour de la lumière à l'ombre.

Une écriture dépouillée qui induit la présence, l'émotion. Des regards de femme sur soi, sur la mère, etc. Peut-être cette femme croisée dans l'escalier, dans le métro…

L'odeur palpable de la souffrance, de l'émotion, du corps travaillant, du quotidien qui se délite ; l'odeur enfouie du théâtre comme espoir. A découvrir.
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