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Critique de GeraldineB


À chaque respiration nous sentons. Il existe une infinité de parfums et les odeurs à chaque instant nous surprennent, nous envahissent. Qu'elles soient bonnes ou mauvaises importe peu. Elles nous renseignent sur notre environnement et font naître chez nous des émotions, des appétits, des désirs. Parfois c'est une réminiscence qui appelle à nous de lointains souvenirs ou nous évoque la présence d'un de nos chers disparus. 

Si l'on vous demandait quel sens vous préféreriez perdre, vous répondriez sans doute l'odorat plutôt que l'ouïe ou la vue et c'est bien normal. Pourtant ce sens mineur est sans doute notre sens premier.  À peine sortis du ventre de notre mère, nous sommes posés contre sa peau au contact direct de son odeur. N'est-ce pas notre odorat qui nous conduit à la première tétée alors que nos yeux sont encore collés?

L' Appel des odeurs est un merveilleux ouvrage de réflexion autour de l'odorat. C'est un livre "patchwork" tissé de savoureux petits récits. Des évocations culinaires qui vous font venir l'eau à la bouche aux lourds parfums de forêt et d'encens, Ryoko Sekiguchi sait vous mener par le bout du nez et vous emmène dans un véritable voyage sensoriel. Son écriture est fluide et douce. L'écriture a-t-elle une odeur se demande-t-elle? Ou plutôt, quel parfum pourrions-nous associer à telle écriture? A ce moment du livre j'ai fait une pause et c'est le parfum des héliotropes qui s'est imposé à moi, délicat et rond, tout en sensualité. 

Mais le passage le plus émouvant fut pour moi l'évocation de son anosmie.  
"C'est au réveil qu'elle comprit pour la première fois qu'elle ne sentait plus. Au bout de trois jours clouée au lit, l'odeur de transpiration qui imprégnait les draps n'aurait pas dû les quitter, mais elle s'aperçut, en ouvrant les yeux, que la fièvre, la chaleur s'était retirée, et qu'elle ne sentait plus sa transpiration.
Sa propre peau avait disparu.
Elle avait déjà pensé qu'en cas d'anosmie, elle ne pourrait plus sentir les autres, mais elle n'avait pas imaginé qu'il lui serait impossible de sentir sa propre peau. Elle n'était plus sûre de sa présence. Existait-elle encore vraiment?"

Lors de mon premier covid, j'ai moi aussi fait l'expérience de la disparition totale de mon odorat. Ce n'était pas comme un gros rhume qui vous laisse toujours quelques odeurs en fond, non, c'était la perte absolue de toute odeur, jusqu'à celle de l'essence. Je me sentais alors enveloppée d'un grand silence. Il faut avoir totalement perdu ce sens pour se rendre compte à quel point il nous est indispensable, à quel point il colore la vie et parfois même l'adoucit. Quoi de plus tendre, de plus réconfortant que le parfum du beurre? Lorsqu'enfin mon odorat est revenu, j'ai ouvert le réfrigérateur et j'ai respiré mon beurre. J'en aurais pleuré tant j'avais eu peur de ne plus jamais sentir quoi que ce soit. Et puis une image m'est apparue, celle de ma mère confectionnant sa pâte à tarte, les doigts malaxant le beurre pour en faire une pommade, la chaleur de ses mains libérant ses arômes dans toute la cuisine. Les odeurs sont, à l'évidence, le moyen le plus rapide d'accéder à nos plus chers souvenirs. Mais elles atteignent parfois des zones secrètes de notre âme que nous voudrions garder enfouies.
 
Ainsi Ryoko Sekiguchi se penche longuement sur la mémoire olfactive et sur les liens indissociables entre certaines odeurs et certains événements de notre vie. Un récit marquant est celui de cette femme qui s'achète un parfum différent à chaque événement important. Ainsi, à n'importe quel moment, en ouvrant l'un des flacons de sa collection, elle peut faire jaillir le souvenir qui lui est associé. Elle s'offre ainsi des voyages dans le passé. Et dans le passé, il y a ceux que nous avons aimés et que nous avons perdus. Combien de temps nous souviendrons-nous de l'odeur de leur peau?
L'auteur évoque ainsi la disparition d'une amie et le chagrin qu'elle ressent lorsqu'elle s'aperçoit qu'elle ne se souvient plus du parfum qu'elle portait. C'est presque comme une deuxième petite mort. Les fantômes ont-ils une odeur? s'interroge-telle. "Quelle serait l'odeur de la tristesse? On sent parfois la présence d'une personne par son odeur, mais y-a-t-il une odeur de l'absence?"
Il y a assurément une odeur du chagrin que l'on peut associer à la perte de l'être aimé. le mien sent le citron. 

Et puis l'auteur termine par l'évocation de son propre enterrement. Elle aimerait pouvoir choisir le parfum qui sera diffusé à ce moment-là comme on choisit une musique ou un texte. Un parfum qui lui ressemblerait, qui serait son odeur à elle et qui la rendrait présente une dernière fois. J'ai trouvé cette idée originale et pourtant elle semble évidente. N'existons-nous pas aussi par nos odeurs? 

En imaginant que j'ai rédigé cette critique sur du papier et que je vous l'envoie, je me demande de quel parfum j'aurais vaporisé mon billet. Les emails ont aseptisé les correspondances et j'ai la nostalgie d'un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître. Jadis, on descendait dans sa boîte aux lettres le coeur plein d'espoir et pour peu qu'on soit chanceux, une lettre d'amour, toute parfumée et tellement évocatrice vous y attendait. On pouvait la relire bien sûr mais surtout la respirer encore et encore. 
Aujourd'hui et à défaut, j'ouvre le livre de Ryoko Sekiguchi et j'en hume le papier, l'encre. Je le rêverais relié cuir, car il le mérite. Les liseuses n'ont pas encore gagné la bataille et nos bibliothèques regorgent de parfums. Et comme j'ai l'envie de faire d'autres voyages, je vais de ce pas plonger mon nez dans d'autres ouvrages de Ryoko Sekiguchi.
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