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Critique de MarianneL


«Qui n'a rêvé, une fois au moins, de manger les nuages ?»

Dans ce surprenant petit livre paru aux éditions Argol en 2012, et sous-titré «Manuel pratique de l'alimentation vaporeuse», la franco-japonaise Ryoko Sekiguchi, dont les appétits pour la cuisine et la littérature semblent également insatiables, dresse un inventaire poétique des nourritures fantômes, dont les caractéristiques physiques, d'aspect ou de texture, de provenance ou tout simplement de nom, restent insaisissables : manger la brume, la fumée, ou la transparence, manger des nourritures évanescentes ou innommables, et avec elles absorber une part de mystère.

« «Manger la brume» est une expression japonaise tout ce qu'il y a de plus banale, qui signifie mener une vie d'ermite, ou vivre sans ressources. On parle ainsi, avec une nuance moqueuse, d'individus peu sociables, voire excentriques. Pourtant, à l'origine, cette expression viendrait des sages ermites de la Chine qui subsistaient, dit-on, en mangeant la brume.»

Ce tour d'horizon érudit et parfois drôle des mets insaisissables se nourrit de la fascination ancienne, et réciproque, des français pour une cuisine japonaise où le plaisir de la vue et du geste, celui du toucher et de la texture, ont autant d'importance que celui du goût.

«Un conte populaire japonais de l'époque d'Edo rapporte l'histoire d'un marchand d'anguilles grillées. Pour attirer les clients, le cuisinier laissait la fumée s'échapper dans la rue. Un jour il s'aperçut qu'un homme s'approchait régulièrement du gril pour manger son bol de riz blanc, en toute tranquillité. Il se contentait de humer la fumée – le fumet – de ses grillades, sans jamais rien acheter. Au bout de plusieurs jours de ce manège, le patron de l'échoppe se mit en colère. Il exigea de l'homme qu'il paye pour la fumée, puisqu'il mangeait son riz avec. Et l'homme de répondre : «Eh bien, si je dois payer pour la fumée, contentez-vous que je fasse tinter la monnaie, voici !» »

Dans notre époque où la réalité devient fantomatique, et les sombres fictions deviennent réalité, la méditation subtile de Ryoko Sekiguchi rejoint, de façon surprenante, l'effroi des fantômes contemporains en guise de conclusion.

«Je ne pensais pas un jour écrire un texte qui coupe à ce point l'appétit, à commencer par l'appétit de celle qui écrit.»
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