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Critique de gabb


gabb
16 septembre 2022
Dans la famille Einstein, je voudrais le fils. le fils cadet plus exactement, le fragile, l'instable, l'hypersensible : Eduard.
Bonne pioche ?
Dans ce cas donnez-moi donc aussi la mère, Mileva, et enfin le père, le génie absolu, Albert.

Voilà, la famille est presque au complet*, Laurent Seksik peut commencer.
Commencer quoi ?
Une étonnante polyphonie, un concert à trois voix aux allures de thérapie familiale où chacun des trois personnages prendra tour à tour la parole pour dire sa vérité et mettre en lumière les profonds problèmes de communication et l'incompréhension mutuelle qui les a toujours tenus éloignés les uns des autres...
Alors qu'Albert consacre l'essentiel de sa vie à la science, son fils Eduard sombre inexorablement dans la schizophrénie et cherche par tous les moyens à se débarrasser d'un patronyme devenu trop lourd à porter ("une seule personne possède les épaules assez solides pour supporter un tel fardeau : mon père"), tandis que Mileva fait son possible - hélas sans grand succès - pour maintenir entre eux tous un semblant de cohésion. Son mariage n'y survivra pas.
La montée en puissance du nazime en Europe contraint Albert à s'exiler outre-Atlantique, pendant que son ex-épouse multiplie les allers-retour entre Vienne et Zurich, au gré des traitements de choc et des internements d'Eduard.

Quelle terrible histoire, donc, que celle de cette famille pourtant auréolée de gloire, mais dont le destin semble marqué par les drames et les déchirements, ainsi que Laurent Seksik nous le révèle ici.
Malgré une écriture parfois "aride" et une gestion un peu chaotique de la chronologie (pas de véritable trame, plutôt en enchaînement d'anecdotes et d'événements purement factuels), il  éclaire à sa façon les zones d'ombres - étonnamment nombreuses - dans la vie du célèbre physicien, ou plutôt dans celle de son fils cadet, puisque c'est bien autour de lui que l'auteur à construit son ouvrage. C'est lui qui s'exprime à la première personne du singulier (quand les chapitres consacrés à ses parents sont écrits à la troisième personne), c'est lui qui crie son mal-être, c'est lui qui a l'impression de passer à côté de sa vie ("hors mon père, je n'ai pas d'existence légale. Aviez-vous déjà entendu parler de moi avant que je débarque ici ? Non. Je n'existais pas. Qu'ai-je fait pour ne pas exister ? Rien. Je n'ai rien pu faire. Il n'y a pas de place dans ce monde pour un autre Einstein").

Albert bien sûr, n'est pas en reste. Seksik en fait ici un être torturé, rongé de contradictions et de culpabilité, accablé par le malheur de son fils mais fuyant dans le même temps ses responsabilités. Un homme infiniment plus à l'aise, finalement, dans son costume de prix Nobel que dans celui de mari et de père ("Il a cru en l'intelligibilité de l'architecture du monde [...] Il a toujours vu la raison se manifester dans la vie. Et la raison n'est plus nulle part dans l'esprit de son fils").

Mileva, à l'inverse, assume pleinement son rôle de mère, et l'énergie qu'elle déploie pour l'amour de son fils est tellement sans mesure qu'elle finira par la consumer. L'auteur en a fait un personnage très fort, un point d'ancrage qui m'a séduit.
Pour le reste, j'avoue avoir trouvé le texte parfois décousu, sans réelle continuité, et j'ai parfois eu l'impression de me trouver devant un amoncellement de détails biographiques pointus (attestant d'un énorme travail de documentation) plutôt que devant des portraits de personnages véritablement incarnés.

La trame de fond historique est en revanche passionnante, et je regrette que Seksik ne l'ait pas étoffée davantage. Il livre quand même ici un bel hommage à Eduard Einstein, lui qui passa 35 ans derrière les murs d'un hôpital psychiatrique et que L Histoire a oublié.
Il nous renvoie par la même occasion une image nouvelle et contrastée de l'immense génie que fut son père :
"Il a eu tous les courages. Braver la Gestapo, soutenir, un des premiers, la cause des Noirs, aider à la création de l'Etat juif, braver le FBI, ne pas baisser l'échine, ne jamais renoncer, écrire à Roosevelt pour construire la bombe contre l'Allemagne et écrire à Roosevelt pour arrêter la bombe destinée au Japon. Soutenir les juifs opprimés par le Reich. Pétitionner. Être en première ligne. Mais aller voir son fils est au-dessus de ses forces. Il a trouvé ses limites. Seul l'univers ne connaît pas de limites."


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* ne manquent que le frère aîné Hans Albert (qui apparaît brièvement dans le livre) et la petite Lieserl, la première née et la première disparue (morte en bas-âge de la scarlatine dans le plus grand secret, au point que le monde n'apprendra sa brève existence qu'en 1986).
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