Nouvel horaire pour l'émission "Le coup de coeur des libraires" sur les Ondes de Sud Radio. Valérie Expert et Gérard Collard vous donne rendez-vous chaque dimanche à 13h30 pour vous faire découvrir leurs passions du moment !
Retrouvez leurs dernières sélections de livres ici !
Des lendemains qui chantent de Alexia Stresi aux éditions Flammarion
https://www.lagriffenoire.com/des-lendemains-qui-chantent.html
Franz Kafka ne veut pas mourir de Laurent Seksik aux éditions Gallimard
https://lagriffenoire.com/franz-kafka-ne-veut-pas-mourir.html
La Métamorphose de Franz Kafka et Claude David aux éditions Folio Classique
https://lagriffenoire.com/la-metamorphose.html
Les derniers jours de Stefan Zweig de Laurent Seksik aux éditions J'ai Lu
https://lagriffenoire.com/les-derniers-jours-de-stefan-zweig-1.html
Jusqu'à la chute de Heinz Linge, Thierry Lentz aux éditions Perrin
https://lagriffenoire.com/jusqu-a-la-chute-memoires-du-majordome-d-hitler.html
Les mauvaises épouses de Zoé Brisby aux éditions Albin Michel
https://lagriffenoire.com/les-mauvaises-epouses.html
Anatomy : Love story de Dana Schwartz et Julie Lopez aux éditions Albin Michel
https://lagriffenoire.com/anatomy-love-story-francais.html
Même le bruit de la nuit a changé de Violette d'Urso aux éditions Flammarion
https://lagriffenoire.com/meme-le-bruit-de-la-nuit-a-change.html
Tempêtes et brouillards de Caroline Dorka-Fenech aux éditions De La Martinière
https://lagriffenoire.com/tempetes-et-brouillards.html
Rosa dolorosa de Caroline Dorka-Fenech aux éditions Livre de Poche
https://lagriffenoire.com/rosa-dolorosa.html
de l'eau dans ton vin de Olivia Leray aux éditions Fayard
https://lagriffenoire.com/de-l-eau-dans-ton-vin.html
Rugby : mourir fait partie du jeu de Philippe Chauvin aux éditions du Rocher
https://lagriffenoire.com/rugby-mourir-fait-partie-du-jeu.html
le sel de la vie : Lettre à un ami de Françoise Héritier aux éditions Odile Jacob
https://lagriffenoire.com/le-sel-de-la-vie-collector.html
Histoire de France à pleines dents de Stéphane Hénaut et Jeni Mitchell aux éditions Tallandier
https://lagriffenoire.com/histoire-de-france-
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Le malheur déteint sur nous et nous ravit notre force. Mais il faut trouver le courage d'agir.
Il se demande si le destin est écrit. Et s’il l’est parfois, imprimé dans les livres. Il songe que le destin s’amuse avec les hommes et qu’il se rit de lui.
Il se revit enfant, il écoutait son père lui faisant la lecture d'un texte du Talmud racontant qu'un ange veillait sans cesse le médecin dans son activité, l'ange Raphaël, un messager de Dieu censé inspirer chaque médecin dans ses choix.
Raphaël, expliquait son père, venait de l'hébreu. El, qui signifiait Dieu, et Rafa, Médecine. L'ange Raphaël était le Médecin de Dieu. L'ange, au dire de son père, se tenait toujours au côté du médecin, prodiguait à son oreille des conseils, murmurait le nom des meilleures prescriptions, et le médecin, affecté de l'orgueil et de la cécité des hommes, croyait que ces actes provenaient de son esprit, de son intelligence, de sa logique, tandis qu'il ne faisait que retranscrire la parole divine, n’était que le jouet du destin.
La main qui perçait l’abcès, tranchait dans la chair, retirait la tumeur était la main de Dieu.
«Je peux vous poser une question plus personnelle ? » demanda-t-il.
Elle dit oui du bout des lèvres.
« Pourrais-je savoir pour quelles raisons vous avez choisi médecine ? »
Elle douta avoir réellement eu le choix. Elle songea que son père, et le père de son père, et Pavel, son arrière-grand-père, avaient peut-être décidé à sa place. Ou bien tout avait commencé dans le désert d'Alexandrie, un des membres de la tribu des Thérapeutes possédant des dons divinatoires avait inscrit Léna Kotev dans le Grand Livre de la Médecine. Et, comme elle se sentait en confiance, elle avoua, réalisant l'incongruité de son propos en même temps qu’elle prononçait ces mots :
« J'ai choisi médecine par esprit de famille. »
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Oui, un instant Arieh Kacew, sachant qu'ils mourraient le lendemain ou le surlendemain, lui, sa femme Frida, sa fille Valentine, son fils Pavel, se souvenant combien il avait été heureux, entrevit le fol espoir que son fils, depuis les airs, allait les sauver, les libérer, arracher la Jérusalem lituanienne ou ses ruines des griffes du conquérant allemand, le lieutenant Roman Kacew, de l'escadrille du groupe Lorraine des Forces françaises libres, affilié au 137e Wing, stationné à Hartfordbridge, en mission avec son équipage, aux commandes de son bimoteur Boston III qui portait sous sa coque une tonne de bombes, son fils, officier de l'armée française, petit juif de l'armée des ombres, fils d'un simple fourreur de Wilno, volait juste au-dessus de sa tête, fol espoir des affligés, ivresse de ceux qui ont connu le bonheur en leur vie, déraison de ceux qui vont bientôt mourir, et Roman, à son poste de navigateur, était venu sauver son père, se récondlier avec lui, larguer ses bombes sur Wilno pour permettre à Arieh Kacew, fils de David Kacew, petit-fils de Mordechai Kacew, et aux survivants de sa famille de s'évader, de fuir, de vivre, trois mois, une semaine, de respirer encore le parfum de cette terre où ils avaient vécu, de remplir les poumons de la douceur de l'air en songeant à demain.
Mais, plus encore que Moscou, elle adorait Paris. Elle respirait le vent du soir en songeant à la France et se sentait transportée sur les Champs Élysées. Rien n’égalerait jamais Paris dans son esprit et dans son cœur. Sans jamais y avoir mis les pieds, elle se sentait déjà française. Quelle autre nation au monde serait prête à se déchirer pour l’honneur d’un capitaine juif ? Elle pensait à Dreyfus et elle aimait la France. Elle pensait à Paris et sa tristesse s’envolait.
Il songe à ce qu’il vient d’entendre sur les ondes, aux discours de haine, au climat de terreur, à son nouveau statut de cible ambulante. Voilà dix ans, on élevait à Potsdam en son honneur la tour Einstein dont l’immense télescope était destiné à vérifier la validité de ses théories. La pureté des lignes de l’édifice le faisait considérer l’œuvre comme majeure de l’architecture expressionniste. Aujourd’hui, il risque son existence en sortant de chez lui.
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Un jour, alors tout jeune médecin, Pavel s'était vu offrir par un patient une poule pondeuse en remerciement des soins qu'il avait prodigués. Il était revenu remettre ce cadeau aux siens, comme un symbole de réussite, un gage de sérieux, ému de rendre à ses parents le prix des efforts et des sacrifices consentis. Il avait rapporté, tout tremblant d'émotion, la caisse de bois où caquetait la poule - on allait pouvoir manger des œufs à volonté. Son père était parti dans une colère noire :
"Pavel, c'est aux banquiers, aux marchands de s'enrichir ! L'argent corrompt les âmes. Quel salaire, quelle obole seraient dignes des soins que tu as donnés ? Quel prix pour une vie sauvée ? Toute la fortune des Rothschild, les minerais de l'Empire russe, les porcelaines de Pétersbourg, les émeraudes de la tsarine n'y suffiraient pas. Même si le père d'un enfant guéri se dépouillait de tous ses biens, t'offrait sa maison, ses terres, ses chevaux en plus de ses poules, il te serait encore redevable. Ce que tu lui as donné vaut plus que l'or du monde. Alors n'accepte rien, jamais, en supplément de ton salaire ! Poule pondeuse ou pièces d'argent. Toi, tu n'es là que pour servir."
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(Zweig) indiqua d'un geste de la main un épais paquet de pages posé sur son bureau. Il expliqua que, de ces mille feuillets, il ne garderait que trois ou quatre cents. C'était ainsi qu'il écrivait, en traquant l'inutile.
« Toutes les redondances, toutes les mollesses, tout ce qui est superflu et retarde le mouvement m'irrite. Seul un livre qui se maintient à chaque page et vous entraîne tout d'un trait jusqu'à la dernière sans vous laisser le temps de respirer me donne un plaisir sans mélange... Au cours de la première rédaction d'un livre je laisse courir librement ma plume et je mets en récit tout ce que j’ai sur le cœur. Le travail véritable débute alors, celui de la condensation et de la composition, un travail que je poursuivrais indéfiniment, de version en version. Tandis que la plupart des auteurs ne peuvent se résoudre à taire quelque chose de ce qu'ils savent, mon ambition à moi est d'en savoir toujours plus long qu'il ne paraît au-dehors. »
Très cher père,
Tu m'as demandé récemment pourquoi je prétends avoir peur de toi. Comme d'habitude, je n'ai rien su te répondre, en partie justement à cause de la peur que tu m'inspires, en partie parce que la motivation de cette peur comporte trop de détails pour pouvoir être exposée oralement avec une certaine cohérence. Et si j'essaie maintenant de te répondre par écrit, ce ne sera encore que de façon très incomplete, parce que, même en écrivant, la peur et ses conséquences gênent mes rapports avec toi et parce que la grandeur du sujet outrepasse de beaucoup ma mémoire et ma compréhension.