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Critique de folivier


Seize ans après avoir survécu à l'enfer concentrationnaire nazi, Jorge Semprun se remémore chaque minute de son voyage vers les camps. C'est un incessant aller-retour dans sa mémoire entre les évènements d'avant, d'après et de pendant... chaque minutes qui reviennent à sa mémoire le renvoie vers d'autre souvenirs, un paysage, une personne, une situation, une sensation qui eux-mêmes lui font se rémémorer d'autres paysages, d'autres personnes, pour revenir inlassablement à ce long voyage de quatre jours et cinq nuits, enfermé dans un wagon bestiaux avec 119 autres déportés. Voyage angoissant, douloureux où le tragique côtoie parfois le comique absurde.

Tout au long de ce récit, ce flot de souvenir, Jorge Semprun, avec beaucoup d'honnêteté, montre de manière magistrale comment ses réflexions, ses questionnements ont pu évoluer, se modifier, enrichis par ces seize années d'attente avant d'écrire. Ses souvenirs reviennent à sa mémoire au travers d'un filtre qui modifie considérablement la perception des choses, sur la mort, l'homme : c'est un survivant. Alors comme pour de nombreux déportés revenus se pose la question : comment en parler ? comment décrire l'innommable ? comment rendre perceptible l'enfer ? Mais surtout comment faire pour que la réalité indescriptible reste dans la mémoire de l'humanité même lorsque tous les acteurs de cette tragédie auront disparu.
Le grand voyage est le premier livre de Jorge Semprun. Lorsque l'on referme le roman, on comprend que l'auteur n'était pas encore prêt à parler des camps... il parle, décrit l'avant et l'après, le grand voyage et les premiers jours de la libération. Entre il y a un grand trou noir, un ailleurs.

Voici les derniers mots de ce formidable roman, lorsque l'auteur atteint les portes du camp :
"Gérard essaye de conserver la mémoire de tout ceci, tout en pensant d'une manière vague qu'il est dans le domaine des choses possibles que la mort prochaine de tous les spectateurs vienne effacer à tout jamais la mémoire de ce spectacle, ce qui serait dommage, il ne sait pas pourquoi, il faut remuer des tonnes de coton neigeux dans son cerveau, mais ce serait dommage, la certitude confuse de cette idée l'habite, et il lui semble bien, tout à coup, que cette musique noble et grave prend son envol, ample, serein, dans la nuit de janvier, il lui semble bien qu'ils en arrivent par là au bout du voyage, que c'est ainsi, en effet, parmi les vagues sonores de cette noble musique, sous la lumière glacée éclatant en gerbes mouvantes, qu'il faut quitter le monde des vivants, cette phrase toute faite tournoie vertigineusement dans les replis de son cerveau embué comme une vitre par les rafales d'une pluie rageuse, quitter le monde des vivants, quitter le monde des vivants."

Le livre est construit en deux parties. La première partie, la plus importante c'est l'auteur qui parle, qui se souvient, raconte ce grand voyage, la résistance, la libération des camps, la mort, la terreur, la torture, les SS, la fraternité entre déportés, entre résistants. Semprun nous délivre des passages d'une puissance incroyable notamment sur sa vision des allemands, le soldat allemand pendant sa détention à Auxerre, l'enfant qui les insulte lors d'une halte dans une gare où les habitants du village aux abords du camp, où il ne les condamne pas, ne les juge pas et analyse avec les seize années de recul. Puis la seconde partie, bascule dans le roman, c'est Gérard, nom d'emprun de l'auteur, que l'on suit à l'entrée du camp. Très courte seconde partie mais très intense.

Un style très particulier, difficile dans les premières pages, puis la poésie fait son effet et on se laisse embarquer dans les méandres des souvenirs de Jorge Semprun. Un texte magnifique, terrifiant.
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