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Critique de Pasoa


C'est en lisant la très belle Anthologie de la poésie portugaise contemporaine publiée chez Poésie Gallimard que j'ai fait la connaissance de Jorge de Sena, l'un des plus grands poètes portugais du XXème siècle.
J'ai souhaité poursuivre ma découverte de cet auteur. Malheureusement, peu de ses recueils sont traduits et publiés en France. Seul l'est « Perigrinatio ad loca infecta », une anthologie publiée en 2015 aux éditions L'Escampette.

Un petit retour sur l'auteur : Jorge de Sena fut romancier, nouvelliste, dramaturge, essayiste, professeur de littérature, traducteur, critique littéraire,... toutes ses activités firent de lui un auteur très prolixe. Il commença à publier dans les années 30 jusqu'à sa disparition survenue en 1978.
Grand opposant politique à Salazar, il dû en 1959 s'exiler au Brésil puis aux États-Unis. Loin de son pays natal, le grand poète ne renonça cependant jamais au lien particulier qui l'unissait au Portugal.

Si sa poésie s'inspire pour beaucoup de sa biographie, des événements de sa vie, Jorge de Sena n'a jamais voulu qu'elle soit purement autobiographique. Au travers de ses expériences, de ses pensées, il a voulu être le témoin modeste et particulier de l'humanité tout entière.
Deux thèmes occupent tout l'espace de sa poésie : l'amour et la mort. Dans un style érudit, spéculatif, intimiste, lyrique, toujours critique, il y a chez de Sena un double sentiment qui habite son écriture : l'humilité et la vacuité des êtres et des choses.

« Qui que tu sois, voyageur, quand
tu passeras devant ce tombeau et liras
sur cette épitaphe que j'ai quitté la vie
alors que je n'avais guère plus de vingt ans,
tu me plaindras sans doute. Mais si
tu souhaites que la paix dont je jouis maintenant
te soit, à toi qui es si las, aussi douce
qu'elle doit l'être pour moi, je formerai des voeux
pour que tu vives et deviennes très vieux
et jouisses de la vie dont j'ai été privée.
Mais s'il te plaît de verser des pleurs, pourquoi
n'en verserais-tu pas ? Sur Nise. Qui gît ici.
Et n'a vécu que cinq lustres. Ce monument
a été érigé à sa mémoire par Inacos, son père,
et par Io sa mère. Va-t-en voyageur,
va-t-en vite, car si aujourd'hui
c'est toi qui me lis, bientôt c'est toi qui seras lu. »*


Jorge de Sena a toujours cherché à se démarquer des genres littéraires en vogue, y compris au Portugal, pour imposer une poésie qui soit opposée à la religion chrétienne et qui reprenne les thèmes de l'amour jusque dans la sexualité et de la mort avec pour corollaire le vide, le néant de toute existence.
Si l'écriture de de Sena est parfois teintée de colère, d'incompréhension, de désenchantement, elle est surtout habitée par une forme de nostalgie, de douceur voilée, presque méditative.

« La main qui cherche ou se souvient ne
connaît d'elle ou d'autrui que la forme
qu'elle contient ou que contient son souvenir
de tout ce qu'elle a pu toucher.
Si elle ne sent rien
ou ne se souvient pas, ce n'est que par ta faute
pour ne pas avoir su à quel point tu aurais dû
t'être saisi de tout avec la certitude
que tout s'enfuit et ne revient jamais
si ce n'est comme quelque chose dont tu te souviens
mais que tu ne connais pas
au moment précis où tu le cherches encore. »**

La poésie de Jorge de Sena, si elle ne manque de surprendre parfois sur la forme, agit comme un révélateur de notre condition humaine, avec tous ses espoirs et ses désillusions, avec son désir d'éternité et la connaissance de sa fin, elle est une poésie toujours à hauteur de coeur.


(*) poème « Séquences », 1980 (posthume).
(**) extrait de « Les mains de l'amour ».
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