"TOUT CE QUE JE DIRAI..."
Tout ce que je dirai, ne l'écoute pas,
tout ce que je ferai, ne le vois pas;
et, si je tends les mains,
ne me tends pas les tiennes.
Accepte que j'existe comme les rêves
que personne ne rêve,
ces images maudites qui, dans le miroir,
sont la nuit non réfléchie.
Peut-être alors
de ma pure solitude
descendrai-je à la vie.
PEREGRINATIO AD LOCA INFECTA - Fidélité 1958
DU PEU AU BEAUCOUP
Du peu au beaucoup il est peu de différence
Nous avons tous peu, il y a juste ceux qui ont,
au-delà de ce peu, beaucoup.
Ils sont peu, ceux-là, et peu à peu,
inexorablement se réduit ce peu
devant les beaucoup beaucoup.
Et la différence, tout en étant peu, est beaucoup.
Nous avons tous alors un peu de beaucoup
en plus de ce beaucoup de peu.
FIDÉLITÉ
Dis-moi doucement rien, absolument rien, qui soit
comme ta seule présence par laquelle tu me pardonnes
cette fidélité à mon destin.
Tout ce qu'ainsi tu ne diras pas c'est pour moi
que tu le dis. Et les destins se vivent
comme une autre vie. Ou comme une solitude.
Mais qui peut y pénétrer? Qui peut y demeurer
plus que le temps de rester seul avec soi-même?
Dis-moi donc doucement rien, absolument rien :
ce que l'on pourrait dire à la mort, si elle pouvait entendre,
ce que l'on pourrait dire aux morts, s'ils revenaient.
ODE POUR LE FUTUR
Vous parlerez de nous comme d'un rêve.
Crépuscule doré. Phrases tranquilles.
Gestes lents. Musique douce.
Pensée sublime. Sourires subtils.
Paysages défilant au loin.
Nous étions libres. Nous parlions, savions
et aimions sereinement, doucement.
Une angoisse diluée, mélancolique,
sur elle vous rêverez.
Mais les tempêtes, les émeutes, les cris,
violence, dérision, odieuse confusion,
printemps dans leur agonie ignorés
sur les pentes voisines, prisons,
assassinats, l'amour vendu,
larmes et combats,
désespoir de la vie que l'on nous vole,
- juste une angoisse mélancolique
sur laquelle vous rêverez l'âge d'or.
Et en secret, avec regret, en extase,
vous parlerez de nous - de nous ! - comme d'un rêve.