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Critique de Enroute


Pour Senghor, tout s'explique par le sang, la race, la biologie et l'histoire (j'étais là avant). Les propos sont bienveillants bien sûr ; il s'agit de promouvoir "le dialogue des cultures", de s'ouvrir à l'autre, de tâcher de le comprendre, mais il n'en reste pas moins qu'à le prendre au mot, on est franchement effrayé de cette exclusivité de la biologie qui paraît interdire tout possibilité d'avenir (les gens pensent ainsi car telle est leur biologie et puis c'est tout).

Par ailleurs, les outils conceptuels font défaut : je dois rester ce que je suis tout en m'ouvrant à autrui. Mais comment reconnaître la différence d'autrui par rapport à la mienne ? Est-ce que je ne serais pas par exemple en ce moment-même en train de parler à un congénère dont l'ADN, qui n'est pas écrit sur son front, est pourtant le même, enfin à peu près, que le mien ? Dois-je demander le groupe sanguin de mon interlocuteur avant de me prédisposer à m'ouvrir à sa culture ? Et puis, si je m'ouvre à autrui, est-ce que je ne risque pas de changer, de me changer ? Comment alors rester moi-même ? Comment apporter, lorsqu'à mon tour on me le demandera, des éléments de ma différence intrinsèque (qui aura pu changer entre temps par divers échanges) ?...

D'ailleurs, le propos de dissout de lui-même puisque Senghor s'enorgueillit que le Sénégal se trouve à la jonction des cultures nord et sud-africaines, lieu de métissage : si bien que la "Sénégalité" - à défaut de l'"Africanité" ou de la Négritude - n'est pas du tout un concept simple à appréhender. Même chose pour le Portugal : lieu de métissage, il est le lieu du dialogue des cultures. On en vient à conclure que pour penser l'universel, il faut produire un génome universel... (donc pas la peine de faire d'efforts, la génétique pourvoira aux conflits identitaires.......... glups).

Reste que les propos sont bienveillants et qu'à force d'utiliser les mots "nègre" et "négritude", Senghor finit par les dévitaliser totalement : ils finissent par ne plus rien dire, par ne plus évoquer quoi que ce soit. C'est peut-être là son apport principal et il n'est pas insignifiant. de plus, pour moduler encore l'impression assez désagréable de sa pensée, il reconnaît que "Négritude" peut aussi signifier un mouvement d'avenir, une manière d'envisager un monde nouveau d'une certaine manière. Si tous les propos étaient de cet acabit, et si cette "manière" (il parle de Weltanschauung) était thématisée et argumentée autour des points communs de l'ensemble des membres de la communauté concernée, on n'aurait plus rien eu à dire.
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