Le sel de nos larmes

30 janvier 1945 : des milliers de réfugiés affluent au port de Gotenhafen afin d'embarquer sur le Wilhelm Gustloff, qui doit les mener à Kiel. La fin, enfin, d'une errance à travers la Prusse-orientale, pour fuir l'Armée rouge, le froid et la faim. Mais ce que ces 10000 personnes ignorent, c'est que l'issue de cette longue marche leur sera fatale : dans la nuit (12 ans après l'élection d'Hitler, ironie du sort...), un sous-marin russe torpille le paquebot, dont la capacité était initialement prévue pour 1500 personnes. le navire coule en une heure, laissant dans son sillage 6000 cadavres. Dans "Le sel de nos larmes", Ruta Sepetys se concentre sur le destin de quatre jeunes adultes : Florian, un jeune Allemand spécialiste de la restauration d'oeuvres d'art mais aussi de la contrefaçon, en fuite pour avoir dérobé les plans de la cachette d'un des plus grands trésors volés par les Nazis; Emilia, Polonaise de 15 ans qui porte en elle un lourd secret; Joana, une infirmière lithuanienne; Alfred, fraîchement enrôlé dans la Wehrmacht où il a trouvé une raison d'être après des années de rejet à cause de son physique trop faible pour un Aryen. La construction narrative très habile de ce roman (le point de vue en alternance des quatre personnages) fait qu'il est absolument impossible de le lâcher. Mais pas uniquement... la richesse intérieure des personnages principaux et "annexes" oblige forcément le lecteur à s'attacher à eux. Et le déroulement de l' "intrigue" le maintient en haleine tel un thriller (dans la rencontre avec l'auteur organisée par Babelio, cette dernière propose d'ailleurs cette catégorie où, éventuellement, classer l'ouvrage). Ruta Sepetys nous fait découvrir en outre une des plus grandes catastrophes maritimes de tous les temps, pire que le Titanic car ayant fait plus de victimes, victimes qui plus est portées par l'espoir d'une vie nouvelle après des années de souffrance. Si cette tragédie fait partie des "histoires cachées" comme se plaît à le dire l'auteur, c'est parce que du côté des Allemands, les morts ayant été nombreux, ils ont préféré passer cet événement sous silence, afin de ne pas se plaindre en comparaison avec les exactions commises par leur peuple durant la guerre. Et si du côté russe, le naufrage du Gustloff a aussi été évacué de la mémoire collective, c'est parce que le commandant du sous-marin torpilleur a été déchu de ses fonctions avec déshonneur quelques années plus tard, entachant ainsi l'image de l'URSS. Ruta Sepetys a été particulièrement touchée par cette histoire, car la cousine de son père est une rescapée de cette catastrophe. Et c'est peut-être ce qui rend son roman aussi touchant et vivant. Merci à Gallimard et à Babelio pour ces belles heures de lecture !