AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Malaura


Du grand écrivain voyageur Luis Sepùlveda, on connaît son roman le plus célèbre, « le vieux qui lisait des romans d'amour » devenu un best seller international, ou encore le récit pour enfant « Histoire d'une mouette et du chat qui lui appris à voler ». On connaît moins « Yacaré / Hot-line », un recueil de deux petits romans policiers pas plus gros qu'une nouvelle parus initialement dans « Journal d'un tueur sentimental ». C'est dommage car, s'ils ne font pas partie des oeuvres maîtresses de l'auteur, ils offrent malgré tout une lecture tout à fait divertissante, pittoresque et pleine de sel.

Le premier récit, « Hot Line », met en scène un indien mapuche, le policier rural George Washington Cacauman, qui lutte contre les trafiquants et les voleurs de bétail dans les vastes plaines de Patagonie.
Dès le début, le ton est donné et il s'annonce piquant. En effet, l'inspecteur aux manières cavalières et aux airs de Charles Bronson, se fait remonter les bretelles pour avoir explosé le postérieur d'un fils de militaires !
« -George Washington Cacauman, tu as fait sauter le cul du fils du général Canteras !!! »
Et ça bien sûr, ce ne sont pas des choses à faire dans un pays où le retour à la démocratie est encore tout relatif et où l'ombre du général Pinochet plane avec autant de toxicité que le nuage de pollution au-dessus de Santiago.
C'est justement à Santiago que son supérieur, afin d'apaiser les esprits, a muté le pauvre policier plus habitué à renifler les bouses de vaches qu'à humer les vapeurs des pots d'échappement et plus enclin à chevaucher un équidé qu'à arpenter le bitume de la capitale…
‹‹La ville lui parut immense, froide et sauvage. On respirait difficilement et on avait du mal à s'orienter, car le soleil brillait quelque part dans un endroit incertain du ciel, au-dessus de la couche graisseuse de gaz qui recouvrait Santiago. ››
Sur place, Georges Washington est affecté aux affaires sexuelles et se voit confier la sympathique mission d'enquêter sur les téléphones roses…
Lorsqu'il reçoit un couple reconverti dans la Hotline, harcelé et terrorisé par les messages téléphoniques d'un mystérieux correspondant, l'inspecteur Cacauman comprend vite qu'il ne s'agit plus simplement de « factures de téléphone d'onanistes ayant des problèmes de paiements » mais d'une affaire qui ne sent vraiment pas bon…

Quel rapport peut-il bien exister entre un grand magnat des maroquineries milanaises, un enquêteur en assurances suisse, deux policiers italiens et le sorcier d'une peuplade indienne du fin fond de l'Amazonie ?
C'est ce que l'on apprendra en remontant la piste de « Yacaré » qui nous entraîne, sur fond de trafic de peaux de crocodiles, à la découverte des indiens Anarés du Pantanal. Cette peuplade d'Amazonie a vu son univers bouleversé par l'apparition du plus dangereux des prédateurs : l'homme blanc, qui est venu chasser sur ses terres le « yacaré », un petit caïman objet de sa vénération et source de toutes ses traditions.
Mais alors pourquoi, Don Vittorio Bruni, le géant de la maroquinerie italienne mort subitement en pleine réunion, a-t-il souscrit une assurance- vie d'un million de francs suisses au profit d'un de ces indiens, le sorcier Manai ?
C'est ce que les policiers Arpaia et Chielli du commissariat de Milan, et l'expert Danny Contreras, exilé chilien résidant en Suisse spécialement mandaté dans la cité lombarde par son cabinet d'assurances, vont tenter de découvrir dans cette affaire tendant à prouver, si besoin est, combien le « jeashmaré » (l'homme blanc), a pu se révéler un fléau pour les tribus indiennes d'Amazonie…ou d'ailleurs.

Epicé, relevé juste à point, savoureusement mitonné à la sauce sauvage des grands espaces, les romans de Luis Sepùlveda sont comme le plat national chilien, ils s'ingurgitent dans la bonne humeur et la simplicité, avec cette convivialité des bonnes choses qu'on aime à partager dans un optimisme amical, fraternel.
Cet entrain, ce côté enjoué et rieur que l'on puise souvent dans l'oeuvre de l'auteur sud-américain, s'enrichit qui plus est d'un engagement politique et écologique, véritable fer de lance d'une production littéraire des plus foisonnantes pour cet écrivain impliqué qui a connu et éprouvé les geôles du général Pinochet.
Sous le couvert de l'ironie et de la caricature, « Hot Line » dénonce ainsi ce que furent les premières années de transition démocratique de l'après Pinochet dans un pays encore tout imprégné du passé, où les militaires tentent de jouer encore les prolongations ; tandis que « Yacaré », davantage écologique, révèle avec un brin d'amertume que la soif de profit et de cupidité conduit malheureusement à la perte des grands espaces et à la destruction définitive des espèces animales et humaines.
Au-delà de la spiritualité, de l'humour et de la fantaisie qui caractérisent ces deux récits policiers, Sepùlveda continue encore et toujours à délivrer un message fort qui nous touche et nous donne à réfléchir.
Commenter  J’apprécie          400



Ont apprécié cette critique (32)voir plus




{* *}