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Critique de SophieChalandre


Dans ce roman endiablé d'Enrique Serna, le titre La double vie de Jesús annonce l'écartèlement qui trame ce récit à l'humour grinçant : double vie parce qu'il y a la vie réelle et celle possible ou rêvée, la vie quotidienne et celle inavouée, la vie subie et celle qu'on ambitionne ; et quand on se nomme Jesús, il y a de fortes chances que l'idéal que l'on porte demande un jour un sacrifice aux contours christiques.
Familier du genre soap-opéras (Serna en a créé un nombre conséquent avec son camarade Carlos Olmos pour les plus grands studios mexicains), l'auteur en reprend les coïncidences et les revirements feuilletonesques qui frisent l'invraisemblance, en y ajoutant un esprit analytique méticuleux puisqu'Enrique Serna est un essayiste réputé.
Dans la ville de Cuernavaca, Jesús Pastrana, fonctionnaire modèle, vertueux et idéaliste, marié avec enfants, se lance dans la campagne d'investiture de sa mairie pour sauver sa ville et ses habitants de la gangrène de la corruption à tous les étages et de la violence des narcotrafiquants. Son ambition politique et sa moralité vont croiser la route passionnelle d'une prostituée marginale transsexuelle.

A partir du microcosme d'une ville sous haute tension, Enrique Serna dresse le portrait caustique d'une société mexicaine et d'un pays dont le sport national est la corruption, avec pour devise le trafic de drogue qui contamine toutes les institutions et les pouvoirs, et une passion assez bien partagée pour le crime, la trahison, l'hypocrisie et la déliquescence politique et sociale.
C'est aussi une analyse plutôt pessimiste du pouvoir et de ses stratégies dans tous les domaines des rapports sociaux : pouvoir politique, pouvoir de l'ambition, pouvoir du désir et du sexe, pouvoir de l'argent, pouvoir de la mort et de la violence avec sa farandole de stratégies pour accéder à ce pouvoir ou pour déjouer les éventuelles oppositions idéologiques et autre culpabilité morale : tout est bon pour parvenir à ses fins y compris amoureuses, tout devient excusable au nom de l'ambition, du désir et des intérêts.
Dans ce roman éruptif qui se déploie dans les labyrinthes vertigineux de la transgression, tout déborde : la violence, la corruption, les désirs, les instincts. Rien ni personne n'est épargné par ce récit dévastateur qui interroge la valeur des idéaux et des sacrifices quand il n'y a rien ni personne à sauver. Pour paraphraser Octavio Paz, il semble que dans ce roman d'Enrique Serna, le désir de pouvoir et l'érotisme ignorent les classes et les hiérarchies : "ils dorment et ne se réveillent que pour dominer et se rendormir".
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
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