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Critique de Cannetille


Pour raconter l'histoire de son pays, la Zambienne Namwali Serpell fait une incursion dans le réalisme magique, avec une vaste fresque aux personnages hauts en couleurs, nés des liens tissés entre trois familles sur quatre générations, de 1900 jusqu'à un futur proche.


C'est un personnage réel, le photographe britannique Percy M. Clarke, pionnier établi au début du XXe siècle sur le Zambèze en amont des chutes Victoria, qui sert de point de départ au roman. Père fondateur d'une lignée imaginée mêlant de nombreux sangs – européens, indiens et zambiens –, il est ici le symbole d'une première empreinte étrangère sur une terre qui ne parviendrait plus à se défaire de ses colonies d'envahisseurs, puisqu'après le protectorat britannique, la Rhodésie devenue Zambie à son indépendance en 1964 tomberait sous une autre coupe : celle des investisseurs chinois cette fois.


A partir de ce début de la colonisation du pays, ils sont neuf personnages fictifs à servir tour à tour de focale au récit, en autant de parties regroupées en trois époques : celle des grands-mères, respectivement italienne, anglaise et zambienne ; puis, au fil de métissages divers et successifs, celle des mères et celle des enfants. A chaque génération, l'histoire se répète : tous ont beau tenter de reprendre le contrôle de leur destin, leurs espoirs finissent immanquablement par sombrer, le pays en perpétuelle crise économique, ses habitants réduits à la misère, leurs plus belles initiatives détournées au profit de puissants corrompus ou étrangers, et leurs vies bientôt menacées par l'explosion de l'épidémie de sida en Afrique. Ce sont toujours les femmes qui prennent le plus cher, quand, la plupart du temps, elles se retrouvent seules à assurer durement leur survie et celle de leurs enfants. Pourtant, la jeunesse reprend chaque fois le flambeau de la contestation et de l'action, laissant à penser que les choses finiront bien pour bouger un jour...


Entremêlant librement sa fiction de figures réelles – tel l'inouï et très idéaliste professeur Edward Makuka Nkoloso qui tenta de convaincre son gouvernement de créer un programme spatial national –, mais extrapolant toujours la réalité avec une fantaisie parfois désarçonnante – comme au travers de Sibilla, dont le récit exploite l'hirsutisme jusqu'à en faire une créature quasi fabuleuse –, Namwali Serpell a trouvé, non sans humour, une formule particulièrement imagée et habile pour nous faire envisager la situation de son pays sous tous les angles possibles – historique, politique, social, culturel –, et pour nous faire toucher du doigt, au travers de quelques destins particuliers, le long et incessant combat de cette nation pour construire une identité mise à mal par l'arrogance raciste et prédatrice du monde.


Pour mieux prendre de la hauteur sur ce marécage où les marionnettes humaines se débattent dans leurs passions tragiques, la narration, surgie de profondeurs historiques et prolongée d'une projection teintée de science-fiction, s'entrecoupe du choeur bourdonnant des moustiques vaquant imperturbablement d'une peau à l'autre, peu importe sa couleur, et commentant ironiquement l'absurde inanité de tant de complications entre les hommes.


Cette fresque d'une ampleur exceptionnelle, parfois déroutante dans ses aspects les plus magiques, voire un brin fastidieuse dans certains de ses méandres, s'avère toujours intelligente dans sa manière de mêler les registres, du plus classique au fantastique et à la science-fiction, pour servir une réflexion très ironique, désabusée mais pas désespérée, sur le racisme, sur le féminisme et sur la difficile construction de l'identité des peuples africains, certes aujourd'hui indépendants politiquement, mais toujours économiquement assujettis aux puissances étrangères.


Merci à Babelio et aux éditions du Seuil pour cette intéressante découverte en avant-première.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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