Un rendez-vous manqué avec le premier roman de la jeune zambienne,
Namwali Serpell.
Pourtant cette rencontre proposée par Babelio, je l'attendais avec impatience après la lecture de la quatrième de couverture. Il faut reconnaître que le résumé était particulièrement séduisant et le bandeau très prometteur. le fait qu'il soit qualifié de "digne héritier de cent ans de solitude" ou qu'il soit encensé par
Salman Rushdie crée des attentes légitimes chez le lecteur et des déceptions d'autant plus grandes.
Étant donné mon intérêt pour les romans historiques, les thèmes abordés et les ambiances imprégnées de réalisme magique, cette histoire avait tous les atouts pour me plaire. Mais les livres sont des rencontres. Suivant la sensibilité de chacun, l'humeur du moment, et sûrement d'autres facteurs, elle se fera, ou pas.
Malheureusement, après y avoir cru pendant le premier tiers du livre, mon intérêt s'est émoussé et j'ai décroché sur la dernière partie du roman. J'aurais vraiment voulu l'aimer jusqu'au bout, mais le parti pris par l'auteure ne m'a pas convaincue. Je ne peux que vous encourager à aller lire d'autres critiques de lecteurs qui ont aimé ce récit. Chaque ressenti est très personnel et n'engage que son lecteur.
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« Mustiks » débute près des chutes du Zambèze en 1904 et va traverser un siècle d'histoire jusqu'à un futur proche, en suivant trois familles zambiennes sur trois générations.
Le texte se découpe donc en trois grandes parties, chacune consacrée à une génération, montrant comment la Zambie est passée d'une colonie à la nation indépendante. Entre chaque chapitre, les moustiques servent de narrateurs.
« Sans cesse, nous zonzonnons, agaçons, exaspérons avec nos onomatopées enjôleuses… Insupportables fléaux ! Mais c'est toujours mieux que d'aboyer d'un trou humide et fétique comme vous le faîtes. Nous, nous chantons de nos ailes sèches et battantes. Une vibration plaintive flottant dans l'atmosphère, un chant aussi gracile que la nuée de notre foule légère et ondulante. Pourquoi chantons-nous ? Par amour, naturellement. »
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La première partie, celle des grands-mères, est celle que j'ai préférée.
L'histoire suit trois femmes, Sibilla originaire d'Italie, Agnès une jeune anglaise, et Matha une Zambienne. le récit des grands-mères coule comme le temps avec ses joies, ses peines, ses douleurs.
Une tapisserie de la future Zambie se dessine au fil des années, mélange de couleurs, de bruits, d'odeurs chargées de poussière. L'écriture est belle, fluide, agréable à lire avec une dimension fantastique particulièrement séduisante.
Chacune de trois voix, vivante, attachante, m'a plu, même si j'ai regretté qu'elles ne se mélangent pas.
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Puis vient la deuxième partie, celle des enfants avec toujours cette belle écriture colorée, gorgée de soleil, de chaleur et de parfums.
A nouveau,
Namwali Serpell donne la parole aux femmes avec trois nouveaux portraits, ceux des filles Sylvia, Isabella et Thandiwe. La pluralité des voix permet de développer de nombreuses facettes de l'Afrique et de la vie en Zambie. Leur vision de l'Afrique, de la famille, de la place de la femme (africaine et européenne) dans la société amène des émotions douces, mais aussi intenses.
Le parti pris de l'auteure de donner à nouveau la voix à trois femmes, m'a fortement intéressée. Mais au lieu de rattacher leur histoire aux précédentes pour en faire un récit foisonnant, une saga familiale multigénérationnelle, l'auteure continue à fractionner le récit.
Les personnages se multiplient, avec cette impression de lire des récits de vie indépendants, les liens entre toutes ses femmes étant trop ténus pour structurer le récit. Il m'a été difficile de m'intéresser à un aussi grand nombre de personnages, d'autant plus que certains d'entre eux sont négligés ou disparaissent. L'histoire est trop linéaire, sans fil conducteur vraiment visible, les voix ne se cherchent pas, ne se mêlent pas, ne se répondent pas.
Et puis, arrive le dernier récit consacré aux enfants, celui de Thandiwe qui amorce une transition avec la troisième partie consacrée aux petits-enfants.
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L'auteure opère alors un changement dans son style, dans son écriture, dans les thèmes abordés, donnant davantage de place aux hommes, Lee, Joseph et Jacob. Leurs récits perdent beaucoup en émotions.
Autant je m'étais attachée à plusieurs femmes dont Sibilla, Agnès ou Sylvia, autant les personnages masculins me sont apparus peu sympathiques, vulgaires, égocentriques, hautains, manipulateurs.
La générosité et la tendresse des récits féminins laissent la place à des récits plus froids, plus distants, avec des longueurs inutiles qui ont rendu ma lecture assez laborieuse à certains moments.
Et même si on voit enfin, avec le dernier récit redonnant la parole à une femme, une interaction entre les trois familles, cela n'aura pas été suffisant pour consolider l'ensemble trop décousu et réveiller mon intérêt.
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Les événements historiques réapparaissent de temps en temps tout au long de cette fiction narrative, comme la construction du barrage du Kariba sur le Zambèze, le programme spatial zambien ou l'épidémie de VIH.
L'introduction de personnes ayant réellement vécu est intéressant, mais l'histoire de la Zambie se perd dans les nombreuses histoires d'amour.
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A cela s'ajoute un mélange des genres littéraires.
Le livre commence comme une fiction historique avec des éléments de réalisme magique et de fantastique pour se terminer par de la science-fiction.
L'apparition d'un cadre futuriste avec notamment des dispositifs implantés dans les mains humaines ou la surveillance par des mini-drones dans le cadre d'une politique dictatoriale n'a pas fonctionné pour moi. J'aurais préféré une approche moins scientifique, moins technique, mais au contraire, plus sociologique, plus humaine.
Pourtant les réflexions contemporaines sur le néocolonialisme, le contrôle de la population, la révolte, l'expérimentation médicale humaine, la technologie, le réchauffement climatique sont intéressantes, mais elles viennent se rajouter à d'autres thématiques développées précédemment, autour du colonialisme, du racisme, du féminisme, de la misogynie, du manque d'instruction, de la pauvreté ...
L'auteure aborde peut-être trop de sujets, ce qui réduit d'autant la force de ses messages et leur intérêt.
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Un dernier point m'a gênée également. Ce sont les mots et les phrases en langue bantoue non traduites. Cela amène une note d'authenticité, mais, même si on en saisit leur sens général, j'aurais aimé les comprendre.
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Pour conclure, ce récit polyphonique couronné du prestigieux prix
Arthur C. Clarke a de réelles qualités, en particulier l'écriture.
Le projet d'écriture est ambitieux, évocateur, mais je me suis perdue dans un récit trop haché et trop long. Un personnage principal aurait sûrement permis d'articuler et de structurer davantage l'ensemble du récit.
Les avis sur ce roman sont assez partagés. Si les thématiques vous intéressent, n'hésitez pas à vous faire votre propre avis en le lisant.
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Un grand merci à Babelio, aux éditions Seuil de m'avoir fait découvrir l'auteure et le roman.