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Critique de elisecorbani


La culture de l'inceste est un ouvrage percutant, atypique et courageux, d'une grande qualité et densité intellectuelle.
Percutant car il est le fruit d'un travail collectif entre plusieurs jeunes chercheurs qui sont concernés par la question de l'inceste et ont déployé une immense énergie intellectuelle pour objectiver ce trauma.

Le lecteur se trouve donc face à une forme de témoignage très atypique, puisque le texte oscille entre la première personne et une posture scientifique qui transcrit une réflexion profonde, éclairée par les sciences humaines, sur le sujet de l'inceste et la façon dont il s'inscrit dans la société dans laquelle nous vivons.
Cette densité humaine est renforcée par le fait que l'un.e des auteurices s'est donné la mort durant la rédaction du livre, à l'âge de 27 ans.

Concrètement, cet ouvrage rassemble 6 articles de recherche et 2 textes introductif et conclusif de tonalité littéraire (le dernier issu d'un atelier d'écriture). Pour moi, sa lecture fera date car il m'a permis de rassembler les pièces d'un puzzle de mes réflexions personnelles et de mes ressentis épars, mais congruents. Plus généralement je dirais ce que ce livre pose des mots sur un tabou de notre société, probablement le plus grand des tabous.

Ce tabou consiste a représenter intellectuellement l'inceste comme étant l'interdit fondamental de toute société humaine tout en encourageant une culture de la famille fondée sur la domination de l'enfant, ainsi qu'une représentation fantasmée de l'inceste qui est devenue un élément diffus de la culture de masse, tant dans la pornographie que dans le cinéma d'auteur ou la pop culture.

Malheureusement, le propos est on ne peut plus convaincant et on en ressort les yeux écarquillés- peut être encore plus surprenant pour moi qui ne suis absolument familière avec la pornographie, de terminer la lecture sur l'article d'Ovidie qui m'a totalement ébranlée.
On a beau savoir que tout existe, quand on s'arrête pour y réfléchir, le choc est violent.

Je distingue deux axes dans ma lecture de ce livre : une partie plus centrée sur le statut de l'enfant et la façon dont se définit la famille dans une culture de domination patriarcale basée sur l'âgisme et la toute puissance de l'adulte. Ces réflexions ont rejoint beaucoup de mes lectures et de mes réflexions sur la violence éducative et la place de l'enfant dans la société (notamment John Holt, Alice Miller, Olivier Maurel... ).

L'autre versant concerne la réflexion sur la prégnance de l'inceste dans la culture de masse. Là j'ai retrouvé des sensations de malaise devant une complaisance à mettre en scène ou représenter l'inceste ou une ambiance incestuelle. Une des pistes à creuser pour aller plus loin dans la démarche de cet ouvrage serait de creuser le sujet sur un plan littéraire car il y aurait sûrement beaucoup à dire.

Un article pivot du recueil traite plus d'un aspect épistémologique : celui des biais à l'oeuvre dans la démarche anthropologique. Il témoigne, à mon sens, de la bascule qui est en train de s'opérer dans les sciences humaines, entre un discours et une posture idéologiques inscrits dans le passé et la reproduction d'un schéma patriarcal et la nécessaire dynamique de nouvelles pratiques, portées par de jeunes chercheur.euses.

Alors évidemment si vous êtes allergiques à l'écriture inclusive, au féminisme, au wokisme, à la déconstruction et aux "théories du genre", épargnez vous une crise d'eczéma et passez votre chemin.
Mais si vous avez suffisamment de solidité et d'honnêteté intellectuelle pour regarder en face des choses dérangeantes, et vous poser des questions, lisez ce livre et faites le connaître, c'est vraiment important.
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