J'ai l'impression que la vie s'évapore à toute vitesse et qu'elle peut à chaque instant s'échapper pour de bon, sans prévenir. Tenir, c'est un joli verbe, tenir, il ferait à lui seul une devise de vie, comme un résumé de la vie elle même ; tenir. Tenir sans se demander pourquoi, sans chercher de raisons, laisser cette énergie vitale déposée en nous suivre son cours et se renouveler naturellement, se contenter d'en être le réceptacle docile, sans s'inquiéter d'où elle vient ni où elle nous mène.
Depuis le début de la guerre, il y a beaucoup d'hommes qui n'ont pas tenu, pas tenu leurs promesses, pas tenu leurs engagements, pas tenu leur parole et, dans la vie, il y a ceux qui ne savent pas se tenir, ne se tiennent pas bien, ne tiennent pas la route. Moi, je dois tenir. Voilà le programme. Juste tenir. Tenir.
- Il faut t'amputer.
- Toute la jambe ?
- Au-dessus du genou.
- Et si on ne fait rien ?
- Si on sacrifie ta jambe, c'est pour te sauver.
- Je vois.
Depuis cinq ans, je suis entré progressivement dans la guerre en pensant qu'un jour son terme viendrait, et voilà que d'un coup sec, sans prévenir, c'est elle qui entre en moi et s'y installe pour toujours.
J'ai ignoré la douleur pendant la durée des combats, mais celle-ci prend maintenant sa revanche en s'abattant sur moi comme un rapace, vexée sans doute d'avoir été si longuement dédaignée.
Elle se souvenait que jadis, lors des vacances annuelles en famille à la montagne, elle aimait dire que la beauté du panorama des sommets alpins était une preuve de l'existence de Dieu et, à présent, elle se demandait si l'immonde commis par ceux qui étaient censés annoncer Dieu n'était pas une preuve de Sa non-existence.