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Critique de mercutio


La Comédie des Erreurs est un bon sandwich composite : une première tranche de pain, noir comme un drame, pour aiguiser, en les trompant, les papilles; une deuxième, blonde comme des biscuits à la cuiller, en guise de happy end; au coeur, jambon et fromage.
Certain(e)s puristes du sandwich trouveront que c'est excessif et qu'il faut savoir choisir. Disons qu'a minima, il faut avoir assez faim pour apprécier.

Le jambon donc, c'est une première paire de jumeaux, les maîtres, de leur nom Antipholus; le fromage, c'est leurs serviteurs, jumeaux également, du nom de Dromio (mon attribution de la garniture est arbitraire et pourrait être inversée, ne pas y chercher de prétexte à la lutte des classes). Sans suppléments, vous avez droit aux cornichons que sont l'épouse de l'un, sa soeur, une pute, un orfèvre,… sans oublier l'exorciste de service; le tout s'avale et se digère avec plaisir et sans désagrément ultérieur.

Usé jusqu'à la corde, le coup des jumeaux?
Est-ce si important et, en supposant que ce le soit - à qui le blâme, quatre siècles plus tard!
C'est vrai qu'il furent nombreux, les auteurs qui utilisèrent cet expédient.
Alfred Ernout, qui traduit Menaechmi dans le Tome IV des Comédies de Plaute (Société d'Edition Les Belles Lettres 1936), cite, dans sa notice, les auteurs grecs ayant donné le titre de Jumeaux ou Semblables à leurs pièces: Antiphane, Anaxandride, Aristophon, Xénarque, Alexis, Euphron, sans compter Ménandre, présumé mais non jugé faute de preuve, prédécesseur de Plaute pour Les Menechmes. Rien qu'en France, Plaute inspira en un peu moins d'un siècle Les Menechmes de Rotrou (1636),Les deux Arlequins de le Noble (1691) et Les Menechmes ou les Jumeaux de Regnard (1705). Bien entendu, c'était le moment ou jamais de réactiver les antiquités, le rythme a pu baisser dans les siècles suivants.
Rien ne m'autorise à affirmer que Shakespeare fut le premier à élever l'artifice au carré ni à prétendre qu'après lui aucun illuminé n'osa mettre en scène trois paires ou plus pour ce qui eut pu être une Comédie des Horreurs . Mon intuition me dit pourtant que c'est le cas.

Pompe, inspiration ou parodie? l''ancêtre latin s'étant contenté du jambon, Shakespeare a voulu innover pour enrichir mais peut-être aussi pour parodier. J'aime à lui laisser le bénéfice du doute parce que, faute d'être érudit, je suis snob.
L'intérêt de la Comédie des Erreurs, aujourd'hui, ne tient pas dans l'intrigue qui n'est qu'un prétexte, ce qu'elle n'était sans doute pas quand elle fut créée vers 1593. On riait surement beaucoup alors de ce comique de situation résultant des quiproquos, assortis des coups de bâtons du maître châtiant un valet ou de l'épouse cocufiant son mari ou des situations inversées par les auteurs plus audacieux. Je dois avouer au passage que ces situations dites comiques m'ont le plus souvent laissé de marbre, même enfant.

La comédie de Plaute est simple voire simpliste; elle s'alimente essentiellement d'une querelle entre un mari volage et sa femme jalouse , exacerbée par les malentendus provoqués par le jumeau. Après une assez longue exposition du contexte, qui s'applique à bien expliquer la situation d'origine, le pourquoi et le comment, confortant l'idée que l'intrigue compte pour tout ou presque, les évènements vécus "en direct" sont peu nombreux (don d'une mante à l'amante, double interdiction de séjour du mari); les dialogues sont directs, rapides, visant à l'essentiel, efficaces. Foin de sandwich, on est dans la farce.

La Comédie des Erreurs transforme et enrichit ce substrat primaire : exploitant la mise au carré des jumeaux, Shakespeare décline avec la rigueur suffisante le potentiel de quiproquos en l'appliquant aux principaux protagonistes, relativement nombreux; la combinatoire qui en résulte, outre qu'elle donne par moment légèrement le tournis, produit une atmosphère tantôt fébrile, parfois proche du drame, avec des scènes où prédominent la tension, la colère, l'agressivité des jambons Antipholus; tantôt apaisée avec des temps de relâchement, de détente ménagés par le comportement moins élitiste des fromages Domio, l'évocation de la condition des femmes par les deux soeurs et même une brève bluette marquant s'il en était besoin que l'auteur ne manquait pas, grâce aux cornichons, de voies sur lesquelles faire cheminer son ouvrage.
Les tranches de pain, le Duc et Egéon d'une part, l'abbesse d'autre part, se révèlent être les Dei ex machina de la Comédie, noblesse et clergé obligent.

Si les caractères ne m'ont pas paru particulièrement approfondis ni objets d'étude, les mots sont tout et ce tout me plaît.
Dans cette pièce des débuts, on trouve déjà la poésie qui surgit de nulle part, le jeu avec les mots omniprésent et l'humour en cascade, le lyrisme voire la fureur comique.
C'est, pour moi, la marque de Shakespeare, indépendamment du genre, du thème traité et de l'ampleur de la liquidation finale de la distribution.
Ici tous s'en sortent bien, alors c'est une comédie!
La bibliothèque de la Pléiade, poursuit avec le tome I des Comédies le formidable travail entamé avec les tragédies. On apprécie de même ici la présentation bilingue, anglais et français en vis-à-vis. N'étant pas angliciste distingué, j'ai aimé la traduction de Henri Subamy qui fait l'effort de traduire par des rimes françaises les rimes anglaises lorsqu'elles se présentent et ose, avec un certain bonheur me semble-t-il, transposer les plaisanteries:

"Dromio
I pray you jest, sir, as you sit at dinner
De grâce, monsieur, attendez d'être à table pour plaisanter;

I from my mistress come to you in post;
Ma maîtresse m'envoie vous chercher tambour battant,

If I return, I shall be post indeed,
A mon retour, c'est moi qui serai tambour battu,

For she will score your fault upon my pate.
Car elle m'annoncera votre défection sur ma caboche."

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