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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Two households, both alike in dignity,
in fair Verona, where we lay our scene..."

1595. Elisabeth I règne sur l'Angleterre, et le théâtre londonien nommé opportunément The Theatre donne pour la première fois "Romeo and Juliet", déchirant drame romantique de la plume d'un certain William Shakespeare, fils d'un gantier de Stratford. Pour la même somme modique d'un penny, vous avez alors le choix entre les très populaires combats d'ours, coqs, ou chiens, ou un peu de culture dramatique dans l'établissement rond de Mr. Burbage juste à côté. Arène contre arène, mais ce jour là, c'est le théâtre que les londoniens vont choisir.
Il y a bien d'autres couples tragiques : Tristan et Iseut, Héro et Léandre, Pyrame et Thisbé... mais désormais, Roméo et Juliette resteront à tout jamais le symbole de l'amour maudit.

On peut penser ce qu'on veut de cette pièce. Que c'est juste un mélodrame à l'eau de rose, que les protagonistes manquent de maturité (ce qui est d'ailleurs compréhensible, à 14 et 17 ans) et tombent amoureux sans se connaître vraiment. Mais ça n'a aucune importance. "Words, words, words..", dira t-on plus tard au Danemark. L'important sont les mots du grand magicien Will, qui va créer sur scène un monde de haine absolue entre deux nobles familles, et au milieu de tout cela - l'Amour.

La pièce a vu le jour bien avant les grands drames tels que "Macbeth", "Othello" ou "Le Roi Lear". Elle fut écrite en même temps que "Le songe d'une nuit d'été", et d'une certaine façon ces deux pièces sont complémentaires. Mais tandis que "Le Songe" commence d'une façon plutôt dramatique pour finir comme toute bonne comédie par un mariage heureux, pour "Roméo et Juliette" c'est le contraire.
Le prologue vous prépare aux événements tragiques, mais pendant les deux premiers actes, vous hésitez...
Tout commence par un dialogue assez drôle de deux serviteurs. Puis Roméo, tel un chantre pétrarquien, va assommer ses amis par des effusions fleuries sur l'amour, pleines de souffrance et d'oxymores très en vogue. C'est ciselé et romantique à mourir (et le jeune Shakespeare montre bien de quoi il est capable), mais Roméo est pour ainsi dire amoureux seulement de l'Amour. Il manque quelque chose...

Quand il voit Juliette pour la première fois au bal des Capulet, c'est une révélation. Il sait que c'est Elle... elle sait que c'est Lui. Et le langage va changer pour se transformer en un de ces beaux sonnets que Will tire de son encrier comme si de rien n'était.
La "scène du balcon" qui va suivre est probablement l'une des plus célèbres dans l'histoire du théâtre :

"What's Montague ? it is nor hand, nor foot
Nor arm, nor face, nor any other part
Belonging to a man. O, be some other name !
What's in a name ? that which we call a rose
By any other name would smell as sweet !"

Ils se marient en secret, mais à partir de ce moment, le Destin se met doucement en route pour rendre leur idylle impossible. Si vous hésitez encore, tout ce qui pourrait faire penser à une comédie est mort en même temps que l'excellent cynique Mercutio, tué par Tybalt Capulet pendant l'acte III. Vous connaissez la suite. En effet, le scénario est digne des "Penny Dreadful", mais les dialogues de Shakespeare et les personnages inoubliables comme le frère Laurence en font bien plus.
Les Montague vont enfin se réconcilier avec les Capulet devant les cadavres de leurs enfants, mais cette nouvelle paix n'est pas tout à fait une "happy end". Elle apporte seulement une sorte d'apaisement mélancolique, car même les statues en or érigées en mémoire des deux amoureux ne peuvent plus rattraper le passé.
Shakespeare n'explique jamais l'origine de la haine des deux familles. Les Montague haïssent les Capulet, tout comme les gens se haïssent partout dans le monde. Pour des raisons religieuses, politiques, raciales ou personnelles... tant que ça dure, cette pièce sera intemporelle. Où que vous alliez jouer "Roméo et Juliette", chaque époque et chaque contexte va donner à la pièce son propre sens. Et ça fonctionnera toujours...

"For never was a story of more woe
Than this of Juliet and her Romeo."

Je donnerais volontiers un penny, pour pouvoir me mettre devant la scène du Theatre en 1595 (avec ma pinte de bière incluse dans le prix) et voir Richard Burbage en personne dans le rôle de Roméo, et le jeune Robert Goffe en Juliette. Il paraît qu'il était excellent. Et je verrais bien Will en Mercutio, mais c'est juste une idée comme ça...
Comment noter ? 4,5/5 parce que ce n'est pas "Richard III, mais voyez-y quand-même 5/5.
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