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Critique de kuroineko


En commençant la lecture du Goût sucré des pastèques volées, je m'attendais au récit de souvenirs tantôt attendrissants, nostalgiques voire mélancoliques. Dans le genre de la première gorgée de bière, en sorte. Il y a bien de ça, mais pas seulement. Et c'est tant mieux à mon goût, offrant plus de profondeur et de réflexion au texte.

Née en 1973, dans le Hunan, province montagneuse du Sud de la Chine, Sheng Keyi a 45 ans à la parution du Goût sucré des pastèques volées. Enfant de la campagne, elle a depuis quitté son village natal pour Pékin, n'y revenant qu'épisodiquement pour les célébrations du Nouvel An ou des fêtes du Printemps notamment.
Son livre n'est pas construit sur un récit linéaire, mais les soixante-quinze courts chapitres offrent comme autant de coups de projecteur sur tel souvenir, tel aspect du quotidien, telle réflexion sur l'existence.
S'il y a eu beaucoup de moments de bonheur dans cette enfance campagnarde, l'autrice rappelle également la précarité des récoltes en fonction des aléas météorologiques, les temps de disette où la rapine sur les fruits sauvages (et quelques vergers mal surveillés) permet de tenir. Elle raconte les pénibles conditions de vie paysanne, celles encore plus difficiles des filles et femmes dans un milieu où elles sont considérées comme inférieures. Elle parle de sujets existentiels,  tels que la vieillesse, la solitude. Il y a du bilan de mi-parcours de vie dans ses propos.

Son ton est sombre également quant aux évolutions sociales et économiques. A chaque retour dans son village, elle constate les changements indéniables. C'est en soi normal que tout change; il est plus triste et préoccupant cependant de constater que les clairs cours d'eau qu'on buvait directement sont désormais tous pollués. Que la bétonnisation envahit les espaces, au détriment des arbres. Que la faune si variée quelques décennies auparavant encore a grandement décru voire disparu pour certaines espèces. Sheng Keyi dénonce les velléités écologiques chinoises alors que la réalité montre un désir constant de s'enrichir et de tirer profit de tout, au détriment de la nature. Et de résumer cette façon d'être par une phrase marquante : "Au bord du précipice, on continue de creuser le dernier bout de terre sous nos pieds." (page 110 de la version poche des éditions Picquier).
Sheng Keyi dresse un portrait désespérant de sa Chine contemporaine. Elle proclame une sorte de "c'était malgré tout mieux avant". Malgré tout car elle n'enjolive pas la situation des paysans pliant sous le joug des normes administratives maoïstes, des impôts, des aléas, etc. Son ton est mouillé de pessimisme amer et fataliste.

Bien d'autres propos du livre m'ont paru remarquables, et pas tous par leur sombre constat. Il se dégage une poésie simple et envoûtante de ce texte (merci ô combien à Brigitte Duzan et Ji Qiaowei pour leur traduction). En lisant, je me suis trouvée renvoyée plus d'une fois à ma propre enfance, Sheng Keyi et moi n'ayant que trois ans d'écart. Certaines expériences similaires qui doivent être universelles ("Quand je passe en revue le passé, je réalise que mes souvenirs d'enfance tiennent de l'illusion. Les rivières que je croyais très larges le sont en réalité très peu et les distances très longues dans mon souvenir peuvent être parcourues en quelques minutes." page 131). Mais aussi une altérité certaine puisque vivre en Chine communiste et en France républicaine n'implique pas les mêmes conditions d'existence. C'est la similitude dans l'altérité autant que l'altérité dans la similitude.

Avec tout cela, est-il encore utile de dire combien j'ai aimé lire le goût sucré des pastèques volées?
Lire le texte et admirer les délicates illustrations à l'encre de la main même de l'autrice.
Voilà un petit volume que je compte bien offrir autour de moi.
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