AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de HordeDuContrevent


Merci à Marie-Hélène, Sandrine et Onee qui toutes trois, à leur manière, m'ont donné envie de découvrir cette pentalogie que j'ai tenu à terminer dans son intégralité avant de donner mon avis. Cette série m'a suivie toute la semaine, lecture fluide et sobre, épurée et sensible. J'avoue que si j'avais donné mon avis dès la fin du 1er tome, il aurait été différent, sans doute moins enthousiaste car je n'ai senti qu'au 3ème tome que la magie opérait, que l'écriture de Aki Shimazaki, que je trouvais sèche et peu ciselée, se révèle être en fait d'une délicate et troublante poésie. Moi qui aime les écritures travaillées, il m'a fallu un temps d'adaptation pour apprécier ce style très concis. D'un côté le livre, avec ses cinq tomes, se lit avec facilité et aisance, d'un autre côté l'écriture concise ne m'a pas complètement nourrie même si j'en percevais peu à peu la poésie. Je suis ainsi moins dithyrambique que d'autres personnes même si j'ai pris un grand plaisir à lire ce livre. Disons qu'il finit moins corné que certains de mes livres.

De lourds secrets de famille narrés par un protagoniste différent à chaque tome. Un kaléidoscope permettant de donner la parole à chacun et de connaitre les différents ressentis, la façon de vivre ces mêmes événements. le procédé est original et intéressant. Ces angles d'approche différents se font écho, donnent de l'épaisseur et de la subtilité à l'histoire.

Le 1er tome, Tsubaki, se place du point de vue de Yokiko. Dans une lettre laissée à sa fille après sa mort, Yukiko, une survivante de la bombe atomique, évoque les épisodes de son enfance et de son adolescence auprès de ses parents, d'abord à Tokyo puis à Nagasaki. Elle reconstitue le puzzle d'une vie familiale marquée par les mensonges d'un père qui l'ont poussée à commettre un meurtre. Ce récit mêle L Histoire et l'intimité d'une famille. L'Histoire et les histoires. Les bombes meurtrières et le poison meurtrier. le crime parfait et insoupçonnable. La façon dont la jeune fille découvre le secret familial qui va la pousser au meurtre est d'une fascinante et troublante beauté. La scène est gravée en moi. Tsubaki signifie Camélia en japonais et en effet, il s'agit de la fleur préférée de Yukiko. Elle aime dans cette fleur le contraste des couleurs et leur épanouissement en plein hiver : « Dans la campagne près de Tokyo, quand il neigeait, je trouvais les fleurs dans le bois de bambous. le blanc de la neige, le vert des feuilles de bambous et le rouge des camélias. C'était une beauté sereine et solitaire. »

Le 2ème tome Hamaguri, palourde en japonais, pointe le projecteur sur Yokio, ancien amoureux de Yukiko. Cette dernière, au moment des bombes, a soudainement renoncé à le voir malgré la puissance de leur amour. Devenu âgé, Yukiko comprend, grâce à sa maman qui se meurt, pourquoi cette femme aimée a agi ainsi dans ce passé lointain. Hamaguri signifie coquillage seul vestige de son amour passé : « Chez les hamaguri, il n'y a que deux parties qui vont exactement ensemble, même si en apparence elles semblent pareilles. On souhaite que les filles puissent rencontrer l'homme idéal pour le reste de leur vie. Tout le monde ricane. Madame Tanaka dit d'un ton sérieux : — Après avoir mangé, jouez avec les coquilles et retrouvez les paires originales. Ce n'est pas facile, vous allez vite vous en rendre compte. »

Le 3ème tome Tsubame, qui signifie hirondelle, donne le point de vue de la maman de Yokio, Mariko, aux origines coréennes qu'il faut absolument cacher, le racisme envers les coréens étant très fort au Japon. Mariko est non seulement coréenne mais également maman célibataire d'un enfant naturel. Mariko est une survivante du tremblement de terre de 1923 et de la bombe de Nagasaki. Elle doit son salut grâce à la bienveillance et la bonté de deux hommes : le prêtre étranger catholique qui l'accueille tel un père lors du tremblement de terre, « monsieur Tsubame » et son mari qui saura l'aimer d'un amour pur et profond.

Le 4ème tome, Wasurenagusa, myosotis en japonais, donne la voix cette fois à l'époux de Mariko, Kenji, depuis leur rencontre jusqu'à leur vieillesse. C'est sans doute le personnage le plus attachant et le plus émouvant de cette série. J'ai été touchée par l'amour qu'il porte à sa femme et au sacrifice qu'il accomplit pour elle, en décidant de rompre avec sa famille dont il est l'unique héritier pour cette femme « aux origines douteuses » selon les dires de sa mère.

Enfin le 5ème tome, Hotaru, ou luciole, clôt en beauté cette pentalogie en se plaçant du point de vue de la petite fille de Mariko, Tsubaki. Mariko, affaiblie, va se confier à elle. La jeune fille sera la seule à connaitre les lourds secrets de famille. C'est le tome que j'ai préféré, celui qui m'a fait comprendre l'emprise sous laquelle Mariko se trouve avoir été, dernière pièce d'un puzzle familial lourd et complexe. le tome où on comprend comment et pourquoi Mariko est tombée dans l'eau sucrée : « Ho…ho…hotaru koi..Venez les lucioles ! L'eau de l'autre côté est salée, l'eau de notre côté est sucrée. Venez les lucioles ! Elle s'est arrêté et m'a dit : Quelle chanson cruelle ! C'est un piège / Tsubaki, prends garde de ne pas tomber dans l'eau sucrée ». Protection d'une grand-mère se confiant pour que sa petite fille ne réitère pas les mêmes erreurs. C'est doux, tendre, complice.

Chaque titre désigne une plante ou un animal très symbolique dans la compréhension de l'histoire et qui incarnent chacun des personnages. La poésie se révèle avec sobriété et prend sa source dans la nature : « Les fleurs des pêchers dans le jardin commencent à s'épanouir. Les moineaux chantent bruyamment sur les arbres. Il y a des bourgeons de saule sur le bord de la rivière. le vent n'est plus celui de l'hiver. C'est le début du printemps ».
Les couleurs, les sons, les odeurs accompagnent l'intimité de ces récits. « le rouge des camélias est aussi vif que le vert des feuilles. Les fleurs tombent à la fin de la saison, une à une, sans perdre leur forme : corolle, étamines et pistil restent toujours ensemble. Ma mère ramassait les fleurs par terre, encore fraîches, et les jetait dans le bassin. Les fleurs rouges au coeur jaune flottaient sur l'eau pendant quelques jours ».

Une fresque, un puzzle, un kaléidoscope, dans lequel il manque, je trouve, le point de vue de Ryoji Horibe, l'amant de Mariko. Un livre à tiroirs au style épuré dont la retenue fait le charme et la poésie.
Commenter  J’apprécie          5316



Ont apprécié cette critique (52)voir plus




{* *}