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Critique de AgatheDumaurier


Voilà un roman bien complexe et bien dérangeant, à l'image du foudroyant "Il faut qu'on parle de Kévin".
De quoi est-il question ici ? C'est beaucoup moins simple que ça en a l'air, car tous les personnages sont profonds, et tous ont des problématiques différentes.
Donc, d'abord, une femme dans la quarantaine, dont le père est une célébrité à la Tony Danza de "Madame est servie" -homme-star d'une seule série ultra-populaire- a deux familles difficiles. Sa famille biologique, avec sa mère morte tôt, peut-être suicidée, son père narcissique figé dans le passé, son frère aîné précoce, beau et talentueux musicien de jazz, et une petite soeur dont tout le monde se fiche, Solstice. Ensuite sa famille "par alliance", un mari, Fletcher, qui, il faut bien le dire, vit à ses crochets, dont elle a adopté les enfants, et auquel elle a aussi acheté une grande maison pour qu'il puisse faire des meubles raffinés au sous-sol, qui ne se vendent pas. Fletcher est aussi un psycho-rigide pénible de la nourriture, un orthorexique obsédé du tofu, quinoa, pain complet sans rien dessus, vélo, jogging. Il la culpabilise de se laisser aller physiquement, sans doute pour qu'elle oublie que c'est uniquement elle qui remplit la bourse. J'oublie de dire que sa fortune lui vient d'une étrange entreprise de marionnettes qui caricaturent les gens en répétant leurs formules fétiches et pénibles pour l'entourage. Voilà pour l'héroïne, déjà bien chargée de problèmes.
Et c'est alors que resurgit après quatre ans d'absence le charismatique grand frère, Edison, mais...passé de 75 kg à 175 ...Elle ne le reconnaît pas à l'aéroport.
A partir de là, deux grands axes, il me semble :
-la norme et la monstruosité : son frère a disparu sous la graisse et elle veut le retrouver. Victime elle-même des dictats sociaux en vigueur dans l'occident moderne, elle ne peut pas accepter une telle vision de son frère. Son "essence" a disparu (alors qu'elle est encore là, bien sûr, mais le frère lui-même, tout aussi victime des dictats, peine à se retrouver). le charmant et insolent Edison est devenu un gros tas maladroit qui casse les meubles de saint Fletcher, qui salit la cuisine, qui prépare des plats éprouvants...Et ce qu'on acceptait de lui auparavant avec plus ou moins d'irritation envieuse, on ne le tolère plus et on l'abreuve de mépris (ainsi l'odieux Fletcher, doublure inversé d'Edison)
-L'égoïsme et les limites très rapidement atteintes de ce que l'on peut faire pour quelqu'un. le personnage de Fletcher est particulièrement négatif. Alors qu'il a imposé à sa femme sa propre famille, son impécuniosité et son mode de vie morose, il rejette violemment son beau-frère par mesquinerie et jalousie. Fils unique, il refuse de comprendre l'attachement de Pandora pour Edison, et la soumet à un chantage affectif particulièrement odieux : c'est lui ou moi ...
Que va faire Pandora ? Jusqu'où peut-elle aider son frère ? Quel sera ensuite le poids de sa culpabilité ?
Fletcher contre Edison...Et quel est le sens de ce choix ? Facilité, égoïsme ? Peur de se perdre à la marge ?
Sans compter les autres thèmes, rapport morbide de l'occident à la nourriture, symbole d'une satiété matérielle atteinte mais non suffisante ; la célébrité...pourquoi la célébrité dans cette galère ? Parce que la nourriture consommée avec outrance (Edison) ou non consommée avec excès (Fletcher) représente la frustration d'une vie qui semble ratée si elle demeure obscure ou sans grande réussite ; et ses étranges petites marionnettes qui nous caricaturent ...ou pas car les personnages vivants du roman sont tellement agis par des règles de contrôle de soi qui leur sont extérieures qu'ils semblent encore plus vides et passifs que les jouets pour adultes confectionnés par Pandora.
L'obésité me semble donc un prétexte dans ce roman, l'occasion d'ouvrir une grande faille dans la nature humaine, que Lionel Shriver, dont le frère est mort de son surpoids, explore avec une méticulosité remarquable.
Désolée d'avoir été un peu longue...
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