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Critique de LeRockingChair


Aucun doute sur le sujet de ce livre : il s'agit de Kevin, qui, la veille de ses seize ans, a perpétré un massacre dans son établissement scolaire, comme il en existe malheureusement tant d'autres aux États-Unis. le récit qui nous est donné à lire et la dissection de ce qui a mené jusqu'au drame. Si le titre annonce la nécessité d'une discussion, en vérité, Eva, la mère de Kevin, et la seule à s'exprimer. le roman prend une forme épistolaire à sens unique, puisqu'il est constitué des lettres qu'Eva adresse à Franklin, le père de Kevin. Elle revient sur leur vie de couple et sur son expérience de la maternité tout en cherchant sa part de responsabilité.

Ce format donne une impression de voyeurisme, d'être plongé dans cette famille sans l'avoir vraiment cherché. Dans le même temps, il nous est difficile de lâcher le livre, car nous voyons l'histoire se tisser sous nos yeux. La connaissance du dénouement donne de la force au récit, elle amorce un mouvement inexorable et nous rend, nous, lecteurs, tout à fait impuissants. La construction du récit amène aussi des surprises, car Eva passe sous silence des éléments importants que l'on découvre au fur et à mesure de la chronologie du roman. Il est agréable de découvrir une histoire sans sentir que l'autrice nous donne toutes les informations dès le début d'une manière qui pourrait être artificielle.

Il faut qu'on parle de Kevin est profondément déstabilisant dans ce qu'il donne à voir. Lionel Shriver brise le tabou de l'instinct maternel en mettant en scène une héroïne qui regrette la naissance de son fils et n'éprouve aucun amour pour lui. Eva en vient à être jalouse et même haineuse vis-à-vis de Kevin. Une dynamique de rivalité se crée entre eux et va avoir des répercussions sur la relation de couple d'Eva et de Franklin. Car Kevin se comporte très différemment avec sa mère et avec son père. Quand il est cynique et méprisant avec la première, il est enthousiaste avec le second. Dès lors, Franklin, qui couvre son fils d'amour et projette sur lui son idéal de famille américaine, remet en doute la parole d'Eva même lorsque des accidents se produisent et que tout désigne Kévin comme coupable.

Ce dernier point est intéressant, car nous n'avons que le point de vue d'Eva qui revient sur des éléments passés. Nous pouvons raisonnablement penser que sa mémoire peut être défaillante et qu'elle peut mal interpréter des événements qu'elle lit inéluctablement sous le prisme du drame qui s'est produit. Cela amène un drôle de sentiment chez le lecteur vis-à-vis d'Eva, qui apparait au demeurant comme une narratrice peu sympathique, que ce soit par son caractère ou par ce qu'elle met sans concession sous nos yeux. Cela, ajouté à ce qu'implique la forme épistolaire que j'évoquais, m'a donné l'impression d'être partie prenante de l'histoire, comme si, petit à petit, je nouais moi-même une relation avec l'Eva narratrice. Car finalement, le propos n'est pas de savoir s'il faut ou non la croire et avoir une confiance aveugle dans son récit, il est avant tout question de son expérience personnelle. À ce titre, il ne fait aucun doute que le discours que pourrait faire Franklin serait bien différent, sans être pour autant ni plus vrai ni plus faux que celui d'Eva.

Lionel Shriver montre une certaine partie des États-Unis, notamment à travers le personnage de Franklin, américain intimement convaincu de la grandeur de son pays. Son aveuglement quant à la situation de son foyer — à moins que ce soit plutôt qu'il ne souhaite pas ouvrir les yeux — ne peut être vu que comme une critique d'une société bien en peine de prendre le problème des tueries scolaires au corps.

Le style de l'autrice est clinique. Les faits sont analysés et présentés un par un, ce qui fait écho à plusieurs passages dans lesquels Eva présente ce qui s'est passé ce JEUDI (pour reprendre sa tournure) comme étant le résultat d'une succession d'actions et d'événements distincts.

C'est de cette façon également que fonctionne Kevin, comme pour montrer que pour Eva, faire le chemin en arrière afin comprendre ce qu'il s'est passé nécessitait d'enter dans la tête de son fils. Il est présenté comme une personne froide et calculatrice dès sa naissance. C'est un garçon très intelligent qui met ses capacités au service de sa perversité et de sa malfaisance. Les dialogues entre sa mère et lui sont particulièrement percutants car on perçoit tout le contrôle qu'il peut avoir. À travers ce personnage, Lionel Shriver nous amène à nous questionner sur la part d'acquis et d'inné dans ce qui constitue un individu. Aurait-il agi différemment s'il avait reçu plus d'amour maternel ?

Il faut qu'on parle de Kevin est un grand roman. Il me restait en tête entre chaque session de lecture, et c'est encore le cas aujourd'hui, alors que je l'ai fini il y a quelques jours. L'autrice met indubitablement à mal son lecteur avec ce récit introspectif glaçant. Il a été adapté à l'écran par Lynne Ramsay en 2011 avec Tilda Swinton et Ezra Miller dans les rôles principaux.
Lien : https://monrockingchair.word..
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